Migrants : et si les autorités interceptaient les bateaux en mer ? Pas si simple…
article d’Aïcha Noui dans la « Voix du Nord » du 21 mars 2025.

Pour rassurer leurs homologues britanniques, les autorités françaises ont proposé un changement de doctrine sur la possibilité de stopper les bateaux en mer, dans un rayon de 300 mètres proche de la bande côtière. Au-delà de l’effet d’annonce, un éventuel changement de doctrine se heurte à une réalité bien plus complexe.
Des interceptions de « small boat » musclées et des tensions exacerbées entre forces de l’ordre et candidats au départ, sont devenus une réalité quasi quotidienne sur les plages du littoral.
1. Un contexte tendu
Policiers et gendarmes sont censés intervenir pour stopper à terre toute tentative de départ , soit en neutralisant le matériel des passeurs et/ou en interpellant les migrants. Ils n’ont en revanche pas le droit d’intervenir une fois le bateau ou les migrants à l’eau. « Mais les passeurs ont changé leur mode de fonctionnement et arrivent par la mer avec des taxi-boat pour récupérer les migrants , observe le maire d’Ambleteuse Stéphane Pinto. Comme ça devient compliqué de partir depuis la plage, cette possibilité de départ en taxi-boat s’est accentuée. » Un moyen privilégié par les passeurs pour contrer les forces de l’ordre qui ne peuvent pas, officiellement, intervenir à l’eau.
2. Secourir, la priorité
Si dans le cadre du droit pur, rien ne l’empêcherait, car toute embarcation illégale , en infraction peut être contrôlée et interceptée en mer par les autorités compétentes, au large du Nord et du Pas-de-Calais, une zone SAR (search and rescue), suivant la Convention du même nom, a été décrétée, où prime, sur tout le reste, la sauvegarde de la vie humaine en raison de la crise migratoire.
Une fois les migrants à l’eau, les forces de l’ordre n’ont plus le droit d’intervenir. C’est le CROSS Gris-Nez qui prend le relais, assure le suivi des embarcations et coordonne les moyens de secours le cas échéant.
3. Proposition d’une nouvelle doctrine
Lors de la rencontre franco-britannique des ministres de l’Intérieur sur le littoral le 27 février dernier , Bruno Retailleau a soufflé à son homologue britannique, Yvette Cooper, une proposition : « Dans un rayon de 300 mètres proche de la bande côtière, nous devons revoir notre organisation pour pouvoir embarquer (la gendarmerie maritime, NDLR) sur ces bateaux-taxis, lorsqu’ils arrivent pour prendre les migrants. »
L’objectif : rassurer les Britanniques, maîtres des financements de la frontière, dans un contexte de négociation tendu avec les Français sur le montant de la future enveloppe. Les Britanniques qui veulent voir le nombre d’embarcations arrivées sur leurs eaux fortement diminuées, « soutiennent fermement » la proposition française, disent-ils. En 2024, selon les données du Home Office, l’Intérieur britannique, 36 816 migrants ont réussi à rejoindre l’Angleterre en « small boat », soit 25 % de plus qu’en 2023.
4. Pas si simple
Le changement de doctrine en mer au large du Nord et du Pas-de-Calais relève pour l’heure d’un effet d’annonce. Car une réalité bien plus complexe s’impose. Recontacté, le ministère de l’Intérieur estime qu’il faut « un accord européen » pour appliquer une nouvelle doctrine d’intervention « car il n’y a plus de cadre pour réguler les mouvements de personnes depuis le Brexit , nous dit-on. Le problème des migrants dans les Hauts-de-France est européen. Il faut des voies légales et en même temps un système de réadmission pour dissuader les candidats aux traversées clandestines. » Il y a aussi les conventions internationales sur le droit et l’assistance en mer qui s’opposent à tout interception en mer dans ce contexte précis au large du Nord et du Pas-de-Calais.
Pour rappel, les associations d’aide aux migrants, comme Utopia 56, dénoncent « une hypocrisie ». Depuis des années, elle signale aux autorités des crevaisons de bateaux déjà à l’eau par les forces de l’ordre, comme le 7 novembre à Audinghen.