« L’Humanité », 4 mars 2023
Publié le Samedi 4 mars 2023,
par Maryam Madjidi
Le projet de loi sur l’immigration présenté au Conseil des ministres, le 1er février, par Darmanin devrait s’intituler : projet de loi pour multiplier le nombre de sans-papiers en France.
Le texte prévoit de régulariser les travailleurs sans papiers résidant en France pour une durée d’un an renouvelable dans des secteurs à tension. Mais nous ne savons ce qu’il adviendra de ces travailleurs régularisés une fois que le secteur professionnel en question ne sera plus en tension.
On les expulsera ? On les prend et puis on s’en débarrasse ? Des travailleurs jetables en somme.
Une OQTF (obligation de quitter le territoire français) sera prononcée puisque c’est devenu une habitude en France.
La France en est la championne. À son palmarès, un quart des obligations à quitter le territoire délivrées en Europe.
Mais à peine 10 % de ces obligations sont réalisées. Les préfets multiplient les décisions d’expulsion sans se demander si elles sont exécutables. En 2021, 143 000 OQTF ont été prononcées et seulement 9 % exécutées. Autrement dit environ 130 000 personnes se sont retrouvées dans l’incapacité de retourner dans leur pays puisque la mise en œuvre d’une OQTF tient à l’acceptation, par le pays d’origine, de reprendre le ressortissant expulsé. Mais toutes ces personnes se sont également retrouvées dans l’interdiction de rester en France.
Dans un même temps : expulsé et obligé de rester en France. Ces OQTF, je les appellerai plutôt des ORTF, « obligations à rester sur le territoire français », mais dans l’illégalité, dans un no man’s land administratif, une précarité et une impasse qui rendent fou.
La réduction du délai de recours à quinze jours ne fera qu’augmenter le nombre de sans-papiers sur le sol français en empêchant clairement les personnes concernées de pouvoir les contester.
Et le point le plus dangereux de ce texte concerne la généralisation d’un juge unique à tous les recours faits par des demandeurs d’asile devant la CNDA (Cour nationale du droit d’asile) sauf en cas d’affaire particulièrement « complexe ». Un seul juge, et non trois comme auparavant, aurait alors la responsabilité d’accepter ou de refuser la demande d’asile. Le destin des personnes fuyant des pays en conflit, des menaces de mort ou d’emprisonnement, des excisions, bref toute situation qui porte atteinte à leurs droits, sera dans les mains d’une seule personne.
Rien sur l’amélioration des conditions d’accueil. Nous continuerons de voir les tentes apparaître, disparaître et réapparaître dans les rues, sous les ponts et cela contribuera à conforter l’image du migrant délinquant et dangereux.
Et pourtant, la France est capable d’accueillir, l’Europe est capable d’accueillir. L’exemple des réfugiés ukrainiens le montre bien. Des centres d’hébergement d’urgence uniquement pour eux, un accès au marché du travail sans autorisation de travail, une aide financière pour les familles qui les accueillent volontairement, un budget de 600 millions d’euros.
C’est beau, n’est-ce pas ? Mais alors les autres… ?