A Calais, les migrants se sentent toujours traqués

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A Calais, les migrants se sentent toujours traqués

22 septembre 2010 - Le Monde - Michaël Zadkowski

Un an après le démantèlement très médiatisé du vaste campement clandestin qui s’était formé à l’est de Calais, que sont devenus les migrants qui traversent l’Europe dans le but de gagner l’Angleterre et pour qui Calais représente la dernière porte à franchir ? "Le climat est apaisé", assure la maire UMP de la ville. "C’est de pire en pire", rétorquent les associations.

Le nombre de clandestins en provenance d’Afrique, du Moyen-Orient ou d’Asie a indéniablement diminué. "Si on s’en tient aux chiffres et à la volonté politique de faire le ménage, la destruction de la ’jungle’ est un succès", note un humanitaire local, qui n’a pas souhaité, comme la plupart de nos interlocuteurs, révéler son identité. Les associations, à l’image de Médecins du Monde, estiment que le nombre de migrants dans la région est passé de plus de mille à environ deux cents. La voie de chemin de fer et les usines menant à l’ancienne "jungle" sont devenues un terrain vague parmi d’autres.

"Avant, il y a avait des files d’étrangers en permanence, avec leurs affaires dans des sacs et dans des caddies. Et c’était pareil dans le centre-ville", constate un habitant. Aujourd’hui, on croise tout au plus des groupes de deux, trois ou cinq personnes qui squattent en journée les bancs, les parcs, les berges du canal ou les abords de la gare, et se rassemblent seulement pour les distributions de repas par des associations.

LES PASSEURS TOUJOURS PRÉSENTS

Calais en a-t-il fini avec ses vagues d’étrangers en attente de traverser la frontière pour passer en Angleterre ? Le problème de fond ne semble pas réglé. "C’est un phénomène à résoudre au niveau de l’Europe et de l’espace Schengen", entonnent en chœur les associations et la maire, Natacha Bouchart. Et si le nombre de clandestins recensés à Calais est en baisse, c’est aussi en raison de la recrudescence des arrestations et des reconduites à la frontière.

En revanche, les motivations n’ont pas changé pour les exilés clandestins, fuyant les guerres ou des conditions de vie difficiles, tel Karar, arrivé d’Erythrée. "La France, l’Europe, c’est bien, c’est parfait", explique-t-il dans un anglais hésitant, assis sur un renfoncement bétonné du quai de la Moselle. "J’aimerais partir au Canada, pour travailler facilement et faire venir ma famille. Mais pour cela, il faut que j’aie de la chance et de l’argent pour les passeurs", ajoute-t-il, prudemment.

"Je vais partir dans quelques jours à Dunkerque et à Hazebrouck, où c’est plus facile", explique Karar. L’Erythréen suit la longue procession des migrants arrivant par dizaines chaque semaine, dans une ville devenue une simple étape. La plupart s’en vont peu après tenter leur chance dans un autre port français, voire poussent jusqu’en Belgique ou en Hollande.

La traversée de la frontière reste un des principaux problèmes pour les clandestins. A Calais, la mafia des passeurs reste "présente et armée", aux dires des locaux, mais ses réseaux ont souffert du démantèlement de la "jungle". Ils sont bien moins développés qu’il y a un an, tout en restant suffisamment importants pour décourager les candidats solitaires.

"UNE VIE D’ENFER"

Pour ceux qui restent et persévèrent, "c’est une vie d’enfer", pointe un militant du réseau anarchiste No Borders. "Il y a toujours eu du harcèlement policier. Mais après [le démantèlement de] la ’jungle’, le nombre de migrants s’est mis à diminuer d’un coup, tandis que les bataillons de flics sont restés les mêmes. La disproportion est énorme. Résultat, la répression et les arrestations se font de manière plus systématique."

Démonstration au squat Thelu de la rue Descartes, aussi appelé "African house", situé en face de la cité de la Dentelle. Alors qu’approche l’anniversaire de la destruction de la "jungle" et que se murmure l’hypothèse d’une visite d’Eric Besson pour l’occasion – le ministre a indiqué qu’il se rendrait sur place en octobre – la quarantaine de Soudanais qui ont pris l’habitude de s’y rassembler sont visités de plus en plus fréquemment par les autorités.

_ "Avant, il y a avait des files d’étrangers en permanence, avec leurs affaires dans des sacs et dans des caddies. Et c’était pareil dans le centre-ville", constate un habitant. Aujourd’hui, on croise tout au plus des groupes de deux, trois ou cinq personnes qui squattent en journée les bancs, les parcs, les berges du canal ou les abords de la gare, et se rassemblent seulement pour les distributions de repas par des associations.

Mardi matin, 21 septembre, la police de l’air et des frontières a fait une descente. Des Somaliens se sont déplacés, une centaine de mètres plus loin, sur les quais. "Je suis arrivé il y a un mois. Les habitants sont gentils, ils nous donnent des vêtements, de la nourriture, remarque Fabrice. Mais je ne comprends pas ce qui se passe avec votre police. En Hollande, en Italie, on n’a pas eu tout ça. On n’a pas eu les coups de matraque et les gaz lacrymogènes." Aux pieds de Fabrice, une attelle et des béquilles : il s’est foulé la cheville, une nuit, en tentant d’échapper aux policiers.

"Je veux absolument éviter le phénomène de concentration et de ’foyer d’aspiration’, qui a conduit à des situations ingérables comme celles de la ’jungle’", explique la maire UMP, Natacha Bouchart. "Il y a une tolérance pour les squats de cinq ou dix migrants maximum. Mais dès que le volume est plus important, nous intervenons", assure celle qui a succédé à trente-sept ans de mandature communiste. Pour Mme Bouchart, la volonté "de changer l’image de Calais et de faire revenir les entreprises" passe avant tout par la "gestion la moins mauvaise possible" des étrangers.

SITUATION INSOLUBLE

Natacha Bouchart assure que toutes les interventions des autorités se passent "dans de bonnes conditions" et avance que la fermeté "salutaire" s’accompagne d’une vraie solidarité. Tous les deux mois se tient désormais un conseil des migrants avec les associations, tandis que des douches ont été construites, ainsi qu’un local sécurisé pour la distribution des repas, rue de Moscou.

C’est pourtant dans ces locaux entourés de grillages, près des bâtiments en brique et du phare de Calais, que les CRS sont venus arrêter quatre personnes au moment de la distribution du petit-déjeuner, mardi matin, brisant la trêve habituellement en vigueur lors des heures de repas.

"Ils ont voulu rendre invisibles les étrangers, ils prétendent que tout va bien. Mais c’est faux, résume Philippe, un Calaisien d’une soixantaine d’année. La situation est insoluble ici : les étrangers viendront toujours, la police les chassera toujours, tandis que les habitants leur donneront l’aide qu’ils peuvent. Cela fait plus de dix ans qu’ils sont là. Sur le terrain, rien n’est fini."

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