A Calais, « tous des Kosovars »
31 janvier 2013 - Blog Le Monde - Julia Druelle
Calais, centre-ville, clope au bec face au centre commercial, un groupe de jeunes tue le temps. Un homme passe, black. L’insulte fuse : « Eh, encore un Kosovar ! ». Un Kosovar ? Selon le Larousse : Kosovar, Kosovare, adj. et n. : du Kosovo. Mais dans certaines régions, le terme a été travesti : il désigne un migrant, sans considération d’origine, parfois un sans abri. A Calais, et sur le littoral nord en règle générale, cette déformation sémantique trouve un écho retentissant. Les migrants y sont en effet particulièrement visibles : de par l’effet d’entonnoir qui s’y est créé dû à la fois à sa situation géographique à la porte de l’Angleterre et à la frontière de l’espace Schengen, ainsi qu’aux contrôles systématiques instaurés de part et d’autre de la Manche censés les décourager de rejoindre le Royaume-Uni et sa politique migratoire réputée plus favorable.
Fuyant la guerre qui fît rage au Kosovo de mars 1998 à juin 1999, bon nombre de Kosovars se trouvaient en effet dans les rues de Calais à la fin des années 1990. Ils suivaient les Croates, Bosniens, Ukrainiens arrivés quelques années plus tôt. Puis s’y ajoutèrent au rythme des conflits armés et selon la petite musique des difficultés économiques, des Afghans, des Iraniens, des Irakiens, des Kurdes, des Palestiniens, des Somaliens, Darfouris, Érythréens et plus récemment des migrants originaires d’Égypte, de Libye, de Syrie. En plus de quinze ans, le profil des migrants a donc beaucoup évolué et des Kosovars à proprement parler, il n’y en a plus.
L’expression, pourtant, est restée dans le vocabulaire populaire, se teintant d’une connotation clairement péjorative avant de se transformer en un terme générique désignant un migrant sans racines spécifiques, voire un sans abri. « fils de Kosovar », « tous des Kosovars », « tu t’habilles comme un Kosovar » sont quelques exemples de cet usage travesti. Particularité linguistique dont l’origine est la plupart du temps méconnue, elle traduit le fait que dans un contexte de racisme latent, sans doute aiguisé par les effets d’une situation économique difficile, l’étranger est source de peur, de mépris.
Sondés sur la question, des collégiens Calaisiens confirment cet usage. Un Kosovar est alors rarement un « habitant du Kosovo », mais presque systématiquement « un migrant », un « sans abri », un « pauvre », « sans papier », « d’une autre couleur de peau », souvent « un africain », « un arabe », parfois même affublé du masque du mendiant, du voleur. Lors de l’étude d’un cliché d’une veillée au Kosovo, des élèves s’étonnent de l’absence de « Noirs » sur la photo. Ainsi pour la grande majorité d’entre eux, le Kosovo se situe « en Afrique ». Le « Kosovar », perçu comme un migrant par définition, prend logiquement le visage du migrant actuel. Ce contresens est particulièrement frappant lorsque l’on se retrouve soudainement confronté à une toute autre réalité. Car pour beaucoup de Calaisiens le lien se fait inconsciemment. Et utiliser le terme « Kosovar », même pris au sens strict pour désigner un habitant du Kosovo, est source de malaise. Lila, étudiante erasmus en Lituanie, est originaire de Calais. Pour elle, la confusion est profondément ancrée dans les esprits. « J’habite en résidence universitaire et mes voisines sont Kosovardes. Même si je ne le dis pas à Calais, j’hésite toujours à utiliser le mot, ça me gêne, pour moi c’est trop connoté ».
A 2446 kilomètres de là, les Kosovars se doutent-ils d’une telle aberration sémantique ? Et qu’en est-il au Kosovo ? Y’a-t’il un générique pour désigner les migrants ? Daran, Kosovar, reste perplexe « maintenant que j’y pense je ne trouve rien... et tu sais pourquoi ? Parce qu’on n’a pas de migrants. Peut être quelques uns ces dernières années mais en tout cas pas assez pour qu’un stéréotype puisse se créer. » Tout est dit.
Source
Le Kosovo (en vert), 1.733.000 habitants (2011), est une république du sud est de l’Europe à majorité albanaise. Elle fît partie du territoire de l’ex-Yougoslavie (en gris), puis de la Serbie. En 1998-1999, la province serbe, peuplée en majorité d’Albanais musulmans, veut son indépendance. Depuis 1997, l’Armée de Libération du Kosovo (UÇK) porte ces revendications à travers des attaques armées. Les forces serbes entreprennent de réprimer la contestation. L’OTAN lance alors l’opération « Force alliée » pour mettre fin à l’offensive des forces serbes au Kosovo. Le 10 Juin 1999, la résolution 1244 du Conseil de Sécurité de l’ONU met fin à la guerre et place le Kosovo sous administration intérimaire des Nations Unies et sous protection de la KFOR, la force de l’OTAN. En 2008, le Kosovo déclare unilatéralement son indépendance de la Serbie. Cette dernière ne reconnaît pas cette indépendance et considère toujours le Kosovo comme une province serbe.
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