A propos du cas de l’Aquarius : réflexions de Laurent Joffrin, dans "Libération".
15 juin 2018 -
Extrait de ""Libération", 14 juin 2018
La lettre politique de Laurent Joffrin
Un rêve pour l’Aquarius
L’Aquarius n’est pas tiré d’affaire. Les migrants qui sont à son bord non plus. À cause des conditions de mer difficiles – un vent annoncé à 35 nœuds et des vagues de quatre mètres – il s’est dérouté. Au lieu de gouverner directement vers Valence, où il devait arriver samedi, il longe les côtes est de la Sardaigne, rallongeant nettement le temps de voyage.
Faisons un rêve : devant cette situation, qui n’est guère conforme à la dignité humaine, ni aux règles maritimes reconnues par tous, le gouvernement français accepte d’accueillir le navire dans un port de la Corse, qui n’est guère éloignée, comme on sait, de la Sardaigne. Conformément à la proposition avancée par les responsables corses, les migrants sont accueillis, soignés, et leur situation juridique est examinée selon les lois en vigueur. Certains peuvent rester en Corse, d’autres sur le continent, d’autres encore se rendre à Valence, d’autres enfin n’auront pas vocation à s’installer en Europe, selon les procédures habituelles. Saisissant l’occasion, répondant à l’émotion suscitée par l’affaire, les grands pays européens, à la demande de la France, se réunissent en urgence à Bruxelles et ouvrent une conférence destinée à dégager une position commune équilibrée, entre l’accueil nécessaire et la régulation inévitable du flux d’immigration. Si certains – les pays de l’est notamment - refusent tout compromis, les pays attachés à l’Union et aux principes qui le fondent concluent un accord entre eux autour de règles humaines et raisonnables. Fruit de concessions réciproques, l’accord sera inévitablement critiqué. Mais au moins, l’Europe aura montré sa volonté commune et mis fin à l’impuissance qu’elle affiche en cette matière depuis plusieurs années.
Mais c’est un rêve. Entre cynisme et hypocrisie, on obligera l’Aquarius à une longue et éprouvante navigation alors que le bon sens voudrait qu’il puisse gagner le port le plus proche. Politiquement, l’Union aura démontré son inexistence dans ce dossier, laissant les Etats membres réagir en ordre dispersé et les partisans de la fermeture des frontières triompher.
Et aussi
L’absurdité nationaliste éclate une nouvelle fois. En Macédoine d’un côté, en Grèce de l’autre, les partis souverainistes protestent hautement contre le compromis passé entre les deux Etats. La Macédoine veut s’appeler Macédoine. Les Grecs, jusqu’à maintenant, combattaient cette idée en arguant qu’il y a chez eux une province également appelée Macédoine. Les deux pays se réclament de l’héritage d’Alexandre, dont les conquêtes sont parties de Macédoine - il était le fils de Philippe, roi de Macédoine, mais on considère qu’il était aussi de culture grecque. Alexandre étant mort sans laisser de mandat clair à ses lointains successeurs, l’affaire est embrouillée. Un compromis - quelque peu…byzantin - a été échafaudé : la Macédoine s’appellera « Macédoine du Nord », ce qui ménage les susceptibilités des deux parties, puisque peut exister en toute clarté, désormais, une Macédoine du Sud. Il y aurait donc deux Macédoines distinctes, qui ne courraient plus le risque de se mélanger, ce qui est un résultat remarquable pour une macédoine. Mais les nationalistes grecs et macédoniens dénoncent l’accord à partir de deux positions symétriques. Tsípras est maintenant menacé par une motion de censure. La folie chauvine est décidément dans l’air du temps.
LAURENT JOFFRIN
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