Avec ces voyageurs d’infortune échoués à Calais
6 août 2014 - Le Monde - Éric Nunès
« Keep calm and sit down ! » (« calmez-vous et asseyez-vous »), répète en boucle la poignée de bénévoles de l’association Salam aux centaines de migrants africains et afghans venus, mardi 5 août, chercher un repas. Il est 18 heures et une interminable file indienne serpente, quai de la Moselle à Calais, avec au bout un plat de pâtes et un peu de pain.
Depuis deux jours, les rixes entre Érythréens et Soudanais se multiplient dans la zone industrielle des Dunes. Dans la nuit de lundi à mardi, 51 personnes ont été blessées selon la préfecture. Le point de distribution du repas est le rendez-vous obligatoire de la plupart de ces voyageurs de fortune et les forces de l’ordre craignent qu’il soit le terrain d’une revanche. La tension est palpable. « En cas de dérapage, nous prendrons les mesures appropriées », avertit en anglais un capitaine des compagnies républicaines de sécurité.
« Les Italiens nous ont sauvés du naufrage »
Ils viennent du Soudan, de l’Érythrée, du Mali, du Tchad, d’Irak et d’Afghanistan. Ils sont des centaines à avoir traversé deux continents pour échouer face à la Manche, à cinquante kilomètres de leur objectif : l’Angleterre. Idriss (qui n’a pas souhaité donné son nom) dit être né en Érythrée en 1989. Les cheveux déjà grisonnants, il patiente assis à quelques mètres de la cantine et de son unique repas quotidien. Dans la poche de sa veste, une brosse à dents et un tube de dentifrice. Depuis six mois, il a traversé le Soudan et la Libye avant d’embarquer direction Lampedusa, l’île italienne perdue entre la Sicile et la Tunisie. Une fois gagné l’Italie, il a traversé la France et rejoint Calais.
De leur périple, la plupart des Africains interrogés évoquent surtout leur passage en Italie. « Les Italiens sont très gentils, raconte Nasser, Érythréen de 22 ans. Ils nous ont sauvés du naufrage à Lampedusa puis nous ont logés à l’hôtel. » Hassan, 26 ans, salue également la bienveillance des forces de l’ordre transalpines : après cinq années passées en Libye à travailler comme maçon, il a traversé la Méditerranée jusqu’en Sicile où les forces de l’ordre ne se sont pas opposées à la poursuite de son odyssée qui, comme ses compagnons d’infortune, cale sur les bords de la Manche.
Ehmad dit qu’il a « peut-être 30 ans ». Il a quitté l’Afghanistan, traversé l’Iran, puis la Turquie, la Grèce et le reste de l’Europe. L’épopée lui aurait coûté 15 000 euros. À court d’argent, il rejoint Calais. « Il suffit de prendre un camion pour traverser la Manche. Pas besoin d’euros ici. Ceux qui choisissent ce chemin sont pauvres. »
À la nuit tombée, des centaines d’ombres dépenaillées surgissent des sous-bois, « la jungle », selon les mots des migrants. Les mains vides, ces errants longent la rue des Garennes aux impasses remplies de poids lourds en partance. Un étrange ballet se joue alors, les candidats au départ planquent près des stops, dos-d’âne et ronds-points qui ralentissent les véhicules, offrant aux plus audacieux l’occasion de s’y accrocher. Les chauffeurs multiplient les embardées pour demeurer à distance des fantômes prêts à s’agripper.
Il existe une solution moins risquée pour s’introduire dans un camion. À quelques centaines de mètres des quais d’embarquement des ferries, le contrôle du parking est de Calais serait la cause des violentes altercations entre les communautés de migrants. Occupé par des centaines de poids lourds, l’endroit offre une importante réserve d’opportunités de départ pour les migrants. « Mais les Soudanais nous en interdisent l’accès. Ceux qui s’approchent sont frappés », témoignent des Érythréens.
« Je ne crois pas que les altercations soient dues à des tensions ethniques » explique Philippe Wannesson, observateur local et auteur du blog “Passeurs d’hospitalités”, consacré aux exilés de Calais. Le cœur du problème, c’est qu’ils sont chaque mois plus nombreux. Avec la chute de l’État libyen, un nouveau couloir migratoire, en provenance d’Afrique de l’Est, s’est ouvert vers l’Europe et maintenant, des milliers de personnes démunies se retrouvent bloquées ici à Calais. « Mais avec la ferme intention de passer quoi qu’il en coûte » affirme Brakat, afghan : « On s’accroche à chaque camion. Et si on rate, on réessaie ! »
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