Centre pour migrants à Calais : Calaisiens, élus, associations d’aide aux migrants réagissent
23 août 2014 - La Voix du Nord - Marie Goudeseune
Ce jeudi, la maire Natacha Bouchart a annoncé son projet de créer un centre pour migrants, face à une situation « intenable ». D’après elle, la population de sa ville est « inquiète ». Nous sommes allés à la rencontre de quelques Calaisiens et, même si tout le monde n’est pas particulièrement inquiet, la plupart voient le projet de la maire comme une bonne idée mais pas une solution au problème des migrants.
« Insupportable ». Plusieurs Calaisiens emploient cet adjectif pour désigner la situation. « Ça l’est aussi bien pour les migrants que pour nous », développe Patricia. Ainsi, cette commerçante calaisienne trouve que le projet de centre pour migrants est « intéressant mais ce n’est pas une fin en soi. Il va bien falloir endiguer le flot des migrants, car à un moment ou à un autre, on va arriver à saturation ». Les migrants seraient actuellement plus de mille à Calais. Pour Christophe, Sangattois, même si le centre prévu par Natacha Bouchart peut accueillir jusqu’à 400 migrants, « ils seront mille à atterrir là-bas. C’est ce qu’il s’est passé à Sangatte ». Car beaucoup d’habitants du Calaisis gardent en tête l’ancien centre d’accueil de La Croix-rouge. « Leur idée n’est pas mauvaise, du moment qu’ils arrivent à gérer ce lieu. » Mais tous n’y croient pas. Carole, une Calaisienne, estime que cette idée de centre, « c’est reculer pour mieux sauter. Ça ne changera rien. À chaque fois qu’il y a un événement sur Calais, la Ville déplace le camp de migrants pour montrer une bonne image, mais ces derniers reviennent toujours vers le centre-ville. Ce centre, ça va être comme Sangatte, ils vont finir par le fermer. Il faut arrêter de prendre les gens pour des pigeons, que ce soit les Calaisiens ou les migrants ».
Il y a du pour et du contre, même en ce qui concerne l’implantation du centre. D’après Natacha Bouchart, il se trouverait loin du cœur de la ville. Franck, un étudiant qui réside à Calais depuis plus d’un an, trouve que « ce serait de la discrimination. Pourquoi les éloigner ? Si la mairie leur donnait un endroit en centre-ville, ça ne me dérangerait pas ». Tout le monde n’est pas de cet avis. Patricia pense que le bâtiment serait dégradé, comme « les squats ou les camps, c’est immonde. Il y a plein de déchets ». Franck, lui, rappelle que « les HLM aussi sont dégradés, quand il n’y a pas de surveillance. Ce n’est pas une question de nationalité ».
« C’est une très très bonne proposition »
Que pensent les militants associatifs de l’annonce de Natacha Bouchart ? Les avis sont partagés mais dans l’ensemble, la démarche de la maire est appréciée parce qu’elle a le mérite d’ouvrir le débat.
Philippe Wannesson, auteur du blog « Passeurs d’hospitalités » : « Telle quelle, la proposition de Natacha Bouchart ne répond pas aux besoins (…) Un lieu d’accueil pour plusieurs centaines de personnes coupé de la ville reproduirait les côtés négatifs du centre de Sangatte, la relégation, la difficulté d’accéder à ses droits, la stigmatisation, la violence sourde ou ouverte qui s’installe dans ce genre de lieu-ghetto. Les solutions à terme sont donc à penser à taille humaine, et dans le tissu urbain, donc participant à une vie sociale normale. »
L’association « Calais, ouverture et humanité » : « La mairie devra forcément s’investir dans ce projet. Il est clair que Calais ne doit pas supporter seul la catastrophe humanitaire qui se déroule sous ses yeux. (…) L’Europe doit prendre ses responsabilités. L’Angleterre doit prendre ses responsabilités. La France aussi (…) Alors oui madame Bouchart, cette annonce est importante et bien plus intelligente qu’une dénonciation de squat ou des expulsions (…) Peut-être est-il temps de faire des bus pour Paris et Bruxelles pour imposer votre point de vue. Vous risquez d’avoir bien plus de monde à transporter car nous serons tous dans ces bus pour faire remarquer à l’Europe et à l’État français la manière dont ils laissent tomber la ville de Calais. »
Jean-Claude Lenoir, président de l’association Salam : « Je pense qu’ils ont réfléchi et que comme c’est le bazar, ils se sont dit qu’il fallait ouvrir des camps tout de suite et qu’il était temps de penser à une solution pérenne. Je pense que c’est une très très bonne proposition car elle va obliger tout le monde à réfléchir sur le sujet. Il faut être prudent sur le nombre : quel que soit le chiffre repris, si c’est démesuré, c’est voué à l’échec. Sangatte a été un échec par le nombre. Ce sera intéressant si c’est mené conjointement avec d’autres centres répartis sur le département, la France et l’Europe. »
Véronique Devise, présidente départementale du Secours catholique : « C’est à la fois étonnant et c’est une bonne nouvelle pour expérimenter d’autres choses. L’idéal, c’est que chacun puisse être associé à cette réflexion et qu’on avance ensemble. Au moins, c’est une porte qui s’ouvre. »
Propos recueillis par Marie Goudeseune
Les réactions politiques
Pierre-Henri Dumont, maire de Marck (UMP) : « Son annonce a surpris tout le monde, ça semble évident. Maintenant il faut voir, la situation actuelle n’est pas tenable, il faut réformer les accords du Touquet et mettre la frontière anglaise en Angleterre. Je ne sais pas si un centre est la meilleure solution et je ne sais pas s’il y a de bonne solution mais pourquoi pas le tenter si c’est le plus loin possible de Marck. »
Françoise Vernalde, conseillère FN à Calais : « La création de ce nouveau centre pour migrants ne résoudra pas le problème de l’immigration. Madame Bouchart soutient la candidature de Nicolas Sarkozy à la présidentielle et est en pleine contradiction avec celui-ci qui a voulu la fermeture du centre de Sangatte en 2002. Les dirigeants politiques actuels de ces dernières années sont responsables de cette situation, celle d’avoir permis et encourager sur notre sol l’installation et le développement de cette immigration légale ou illégale. »
Christophe Duffy, conseiller élu d’Europe Écologie Les Verts à Calais : « Je reste circonspect puisque Natacha Bouchart dit et fait tout et son contraire. Je n’oublie pas qu’elle a joué sur la problématique des migrants dans une perspective électoraliste et qu’elle a fait fi de la problématique humanitaire. Elle ne voulait pas d’un Sangatte mais il s’agit là d’un centre de 400 places et ils seront plus. Je suis étonné de ce revirement. Je ne suis pas sûr que la création d’un grand centre soit la panacée mais c’est mieux que rien. Plutôt que la ségrégation, je pense qu’une ville doit exploiter toute la richesse que peuvent nous apporter les migrants. »
Alexandre Van Kerkhove, ex-UDI et candidat aux municipales à Calais : « C’est bien, je ne vais pas dire le contraire c’était l’action numéro 1 que j’ai proposée pour les municipales. Je regrette que cela ait été décrié pendant les municipales et que ça se fasse après. Maintenant, Natacha Bouchart prend plus de hauteur dans son deuxième mandat, je lui tends la main puisque j’ai eu la faculté de proposer ce centre avec de l’avance et je veux bien participer au comité de pilotage. »
Philippe Blet, président de l’agglomération Cap Calaisis : « C’est une excellente proposition que je soutiens totalement. À Calais, nous sommes dans une situation surréaliste puisqu’on empêche les migrants de partir. Depuis la fermeture du centre de Sangatte, la question de l’hébergement est un problème permanent. Je soutiens cette proposition d’apaisement. Nous devons vivre ensemble, nous n’avons pas le choix tant que les responsables nationaux et européens ne sont pas capables de régler le problème transfrontalier, nous devons montrer que nous, responsables locaux, sommes capables de prendre nos responsabilités. »
Yann Capet, conseiller PS à Calais : « La proposition, tardive, a le mérite d’être sur la table. C’est une évolution dans la posture de Natacha Bouchart. Il était temps et j’espère que ce n’est pas qu’une posture politicienne. Sa proposition reste encore floue, il faut en savoir plus sur le lieu, le mode de gestion. Je la rejoins sur sa volonté que l’État prenne ses responsabilités et qu’il réagisse par rapport à une situation devenue intenable. Il faut peut-être envisager des sites plus petits et divers. Et que Calais devienne un centre d’accueil, de sensibilisation et d’autres collectivités prennent leur part pour l’hébergement par exemple. »
Propos recueillis par Chloé Tisserand
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