Comment est accueilli l’accord franco-britannique sur la situation migratoire à Calais ?
20 septembre 2014 - La Voix du Nord - Bruno Mallet
Le président de la chambre de commerce (CCI), gestionnaire du port de Calais, affichait ce samedi sa satisfaction après l’accord franco-britannique concernant la gestion des migrants (lire ci-dessous). Quinze millions d’euros seront investis pour la sécurisation du port de Calais, dans les trois ans qui viennent.
Surpris, agréablement surpris, le président de la CCI. Trois jours après sa visite place Beauvau, qu’il avait déjà saluée comme constructive, l’accord franco-britannique rendu public ce samedi matin est venu répondre à toutes ses demandes : « Le plan que j’ai présenté au ministre et à ses quatre conseillers, mercredi, est repris dans cet accord »
Jean-Marc Puissesseau avait chiffré la sécurisation nécessaire du port à 14,5 ou15 millions d’euros. C’est précisément cette somme que la Grande-Bretagne s’engage à verser en trois ans, et le président de la CCI sait déjà comment il va l’utiliser. « D’abord, on met en place une clôture le long de la rocade, jusqu’à la limite de l’emprise portuaire, c’est-à-dire la sortie menant à la zone des Dunes. » En tout, quatre kilomètres de clôture de quatre mètres de haut, surmontée de fil barbelé. « Bien sûr, il restera des points d’accès, quatre en tout. Mais ce sera plus facile à surveiller que deux kilomètres totalement ouverts, prévoit Jean-Marc Puissesseau. Au moins cela empêchera des vagues de plusieurs centaines de personnes prenant d’assaut les camions. Ce n’est vraiment pas de gaieté de cœur que je prévois cela, mais on ne peut plus faire autrement : l’activité du port commence à souffrir de cette situation. »
D’autres travaux seront ensuite menés pour améliorer la fluidité du trafic, empêcher les ralentissements et rendre plus difficiles les tentatives d’intrusion : « Nous allons augmenter le nombre d’aubettes destinées à l’immigration britannique, à condition qu’ils mettent plus de personnel, créer un cheminement routier et un grand parking sécurisé pour délester le trafic en cas d’affluence », précise encore Jean-Marc Puissesseau, qui avoue également son soulagement : « Ces mesures vont contribuer à rassurer nos clients, nos transporteurs. Elles vont également favoriser la finalisation du dossier de Calais Port 2015, qui doit être voté avant la fin de l’année. »
Les réactions : historique ou déjà vu
Natacha Bouchart
La maire de Calais ne s’y trompe pas : l’accord franco-britannique est un « signal très fort, un acte fondateur et important que je salue. » Si elle mesure l’aspect historique de cet accord, elle estime qu’il valide le discours qu’elle tient depuis quelques semaines. « Je pense que ma menace de fermer le port a été entendue, cela a eu un écho auprès du gouvernement britannique », affirme-t-elle. Autre motif de satisfaction : « La place de Calais et sa souffrance ont été entendues, les messages que j’ai portés au ministre aussi, c’est là que le rôle d’un élu prend tout son sens. »
L’accord en lui-même porte principalement sur la sécurisation du port, contre laquelle s’était positionnée Natacha Bouchart il y a quelques jours : « J’ai évolué sur cette question, je n’avais pas encore vécu les tentatives de ces derniers jours ». Mais le texte est en revanche moins précis sur le projet d’accueil de jour qu’elle défend : « C’est toujours en cours de discussion avec le ministre, avec le préfet. Mais la prise en charge au niveau européen qui est essentielle, est évoquée dans l’accord. C’est très important, même s’il reste encore beaucoup à faire. Comptez sur moi pour être vigilante sur l’application de cet accord », conclut la maire, qui rencontrera une nouvelle fois Bernard Cazeneuve, le 7 octobre à Paris.
Yann Capet, député PS
« Que la Grande-Bretagne change ainsi sa position, c’est considérable. Je salue l’humilité et la détermination avec lesquelles Bernard Cazeneuve a travaillé sur ce dossier. Il prouve que quand on ne se place pas dans une logique de communication ou de buzz, on arrive à des résultats. »
Jacky Hénin, conseiller municipal PC
« Pour la première fois, la Grande-Bretagne admet qu’elle doit prendre sa part, c’est très positif, mais il lui reste à régler des choses chez elle. Tant qu’il n’y a pas là-bas de carte d’identité et tant qu’on peut y travailler au noir, les migrants voudront y aller. Une question reste en suspens : que fait-on des 1 500 personnes qui sont là actuellement ? La Grande-Bretagne ne pourrait-elle pas les accueillir chez elle, comme elle avait accueilli des migrants à la fermeture de Sangatte ? »
Jean-Claude Lenoir, association d’aide aux migrants Salam
« Je crains que tout cela ne soit que du déjà-vu, du saupoudrage. La solution, c’est de prévoir un accueil et une orientation globale dès que les migrants arrivent sur le territoire européen, de prévoir des maisons des migrants, des centres de pause. L’urgence absolue, c’est de décongestionner Calais, car là, avec 1 000 ou 1 500 personnes, on ne peut rien faire. Quant à la chasse aux passeurs, cela me fait sourire. Ici, tout le monde les connaît et personne ne les arrête ! »
Gilles Debove, syndicat unité SGP POLICE-FO
« On prend acte et on se réjouit de la prise de conscience côté britannique. L’ accord prévoit des moyens financiers pour sécuriser le port. Nous demandons aussi des moyens humains pour continuer d’assurer notre mission de service public. »
Les termes de l’accord
L’annonce en a été faite ce samedi matin par le ministère de l’Intérieur : la France et le Royaume-Uni ont conclu un accord sur la « gestion de la pression migratoire » à Calais, qui prévoit notamment une contribution britannique de 15 millions d’euros en trois ans pour sécuriser le port.
Cet accord prévoit notamment une contribution britannique de 15 millions d’euros en trois ans pour sécuriser le port. Selon Bernard Cazeneuve, ministre de l’Intérieur, le Royaume-Uni « reconnaît » être « responsable avec la France des mesures urgentes et de long terme qui doivent être mises en place » pour « dénouer la crise que connaît la question migratoire à Calais depuis plusieurs années ».
Cet accord, conclu après « trois semaines de négociations » entre le ministre français et son homologue britannique Theresa May, prévoit la création d’un « fonds commun », « alimenté par une contribution britannique de cinq millions d’euros par an pendant trois ans, soit 15 millions d’euros au total », selon le gouvernement français, qui ne précise pas à ce stade son propre apport.
« Ce fonds financera des actions destinées à sécuriser le port de Calais », dont l’agencement sera « modifié pour améliorer les contrôles et fluidifier le trafic », et à « protéger les personnes vulnérables », précise le ministre. Le renforcement de la sécurisation du port inclura notamment la construction de « barrières solides le long de la rocade » d’accès. « Dans l’attente de ces installations permanentes, des solutions temporaires devront être mises en place dès que possible afin d’offrir immédiatement une plus grande sécurité au public et aux transporteurs. »
La coopération policière contre les filières de passeurs sera « renforcée » avec des échanges de policiers, et des « campagnes d’informations communes » menées auprès des migrants « pour expliquer le caractère illusoire et dangereux du passage clandestin vers le Royaume-Uni », ajoute-t-il.
En déplacement fin août à Londres et dans nos colonnes, Bernard Cazeneuve avait appelé le gouvernement britannique à « prendre ses responsabilités » pour aider à endiguer l’immigration illégale depuis Calais. La maire, Natacha Bouchart, avait menacé pour sa part de bloquer le port sans « geste fort » de Londres.
Les fonds prévus financeront également l’accueil de jour souhaité par la maire de Calais Natacha Bouchart et contribueront à améliorer la prise en charge humanitaire des migrants du Calais. Natacha Bouchart a salué l’accord, espérant qu’il permettra de relâcher la pression : « Je ne sais pas s’il sera suffisant, mais c’est en tout cas déterminant. »
Quelque 1 400 à 1 500 clandestins, selon les autorités, principalement originaires du Soudan et d’Érythrée, se trouvent actuellement à Calais et dans les environs avec l’espoir de se rendre en Grande-Bretagne pour y demander l’asile, en traversant la Manche. Des tentatives d’intrusions massives ont régulièrement lieu et de violentes rixes ont opposés début août des migrants d’Afrique de l’Est.
Point de vue : nouvelle ère
L’accord trouvé entre Londres et Paris revêt, au moins sur le papier, une portée historique. Alors qu’elle semblait s’en laver les mains avec un zeste de condescendance depuis les accords du Touquet de 2003, la Grande-Bretagne admet qu’elle doit désormais prendre sa part dans la gestion des migrants qui s’amassent, plus que jamais, à Calais. Il faut sans doute voir autant de pragmatisme que de philanthropie dans ce revirement, mais au moins celui-ci ouvre une nouvelle ère.
Ce texte est historique aussi car pour la première fois, un gouvernement semble avoir pris la mesure, dans toutes ses dimensions, du désastre qui se noue sur nos côtes, sans prétendre régler définitivement la question. En recherchant l’équilibre entre sécuritaire et humanitaire, en considérant aussi bien la détresse des migrants que l’exaspération des Calaisiens, en élargissant le point de vue à l’échelle européenne, il est en tout cas porteur d’espoirs.
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