Dans le Pas-de-Calais, la solidarité en chantier
29 avril 2012 - Libération - Haydée Sabéran
Depuis mardi, des bénévoles construisent des abris pour les migrants.
On est au bout d’un chemin de boue, entre les champs, les éoliennes et la décharge, à Norrent-Fontes, près de Béthune (Pas-de-Calais). Il pleut, et il y a du vent, mais « le temps qu’il fait, on le choisit pas », dit Pascal, cheminot retraité. Avec Jacques, agriculteur à la retraite, Gérard, ancien de France Télécom, Marc, électricien du spectacle, Eric, ancien éducateur, André, ex d’Arcelor, et Tayeb Aleb, ancien comptable en Algérie, il a mis son bleu et amené des serre-joints et des scies : aidés par Médecins du monde (MDM) Dunkerque, ils fabriquent des abris pour des migrants qui tentent chaque nuit de passer en Angleterre en grimpant sur les camions de l’aire d’autoroute de Saint-Hilaire-Cottes.
Avant l’hiver, une cinquantaine d’Erythréens, Soudanais ou Ethiopiens vivaient là, sous des cabanes de bâches et de palettes. Le préfet a fait raser le campement fin janvier, pour « insalubrité irrémédiable », puis présenté la facture au maire, Marc Boulnois (Europe Ecologie-les Verts) : 21 000 euros. Mis en demeure de le détruire, l’élu avait refusé, au motif que ça ne réglerait rien : ce qui attire les migrants, ce sont les camions, pas le campement insalubre, ni les soins et les douches offerts par l’association Terre d’errance depuis cinq ans.
Blé. L’hiver, les migrants vivent dans une salle communale. Ils y sont toujours, en attendant le camp. L’association construit les abris entre les deux champs de blé où ils avaient élu domicile. Le chantier a démarré mardi. Les constructeurs pataugent dans la gadoue. « La faute à Sarkozy. C’est lui qui fait la pluie et le beau temps », rigole Eric Muller, qui a encadré jusqu’à 30 bénévoles sur le chantier. Gérard, ex-technicien de ligne à France Télécom : « La première fois que j’ai vu un immigrant, c’était devant chez moi, à Ames, dans le village d’à côté. Il y a quelques années, vers 5 heures du matin, avant de partir au boulot. Quand je l’ai vu, j’ai dit : "Ça, c’est pas couleur locale." »
On essaie d’oublier le froid : « Qui c’est qu’a laissé la porte ouverte ? Y a des courants d’air. » Pascal fait mine de visser les bottes de Jean-Claude au plancher. Gérard propose qu’on mette « un survêt et des baskets » aux migrants, pour les envoyer aux JO de Londres. « On dirait que c’est l’équipe érythréenne. »
Parpaings, palettes, plancher, parois : le premier abri grimpe petit à petit - 25 m2, pour 7 à 8 personnes. Franck Doens, logisticien de MDM, qui a fait de la nutrition infantile en Guinée Conakry et de la vaccination en république démocratique du Congo, a conçu le prototype. « Un habitat nomade, démontable. Ça se monte en deux jours, avec cinq ou six personnes. Une semaine, avec l’isolation. » Tarif : 10 000 euros pour les quatre chalets, subventionnés par le conseil régional PS-Verts. Le maire : « On me parle d’ordre public, de salubrité. Mais c’est une question de principe, j’estime avoir à traiter les questions humanitaires avant. Si on trouve une solution humaine, les chalets seront démontés. »
Manif. Dans ce village de 1 400 habitants, le 22 avril, le FN a fait 24,6%, un point sous la moyenne départementale, et plus de dix points sous certaines communes sinistrées du bassin minier. Le conseil municipal, lui, a voté les chalets à l’unanimité. « Il y a un climat xénophobe dans toute l’Europe, dit André, ancien d’Arcelor, pourtant on n’a que 3% à 4% des migrants du monde. » Il est là « par solidarité. Si personne ne fait rien, ce sera une catastrophe ». Il a participé à la manif de 500 personnes à l’hiver 2010, en soutien au maire qui refusait d’obéir au préfet. Jean-Claude, ex-éducateur technique : « Qui est encore français avec tous les mélanges ? » Son grand-père paternel est portugais. Il est bénévole au Secours populaire, sa femme au Secours catholique. « J’ai toujours aidé. Et puis c’est bien, on fait travailler ses neurones. » Jacques, l’agriculteur, se fâcherait presque qu’on lui demande pourquoi il aide : « On s’interroge pas sur les grandes causes des immigrés, mais sur la misère humaine. C’est pas normal de laisser dormir les gens dans les fossés. Ça se passe à nos portes, dans nos villages. » L’édile de Norrent-Fontes a fondé une association de « maires hospitaliers », à laquelle se sont joints une centaine d’élus, « dont deux députés UMP ».
Des migrants ont préparé des spaghettis à l’érythréenne, pimentés, pour les constructeurs. Ahmad, 52 ans, instituteur du Soudan : « Ils font ça pour nous, qui n’avons rien, aucun pouvoir, et qui tentons de passer de l’autre côté. Je ne les oublierai pas. Je leur dis merci, aux gens de France. » La gendarmerie passe tous les jours. Eric espère que les quatre abris seront montés en mai.
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