Davit Isaak, une décennie dans les geôles d'Erythrée.

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Davit Isaak, une décennie dans les geôles d’Erythrée.

31 octobre 2011 - Le Monde.

Le journaliste suédo-érythréen est l’un des plus anciens journalistes en prison défendus par RSF. Du fond de sa cellule, en Erythrée, Dawit Isaak n’en sait certainement rien. Il vient de recevoir le 50ème prix de la Plume d’or de la Liberté, une récompense décernée par l’Association mondiale des journaux et éditeurs de médias d’information (WAN-Ifra). Fin septembre, 5000 exemplaires de ses écrits, un recueil intitulé "Espoir", ont été distribués à la Foire du Livre de Göteborg, en Suède.
Depuis dix ans, ce journaliste suédo-érythréen de 46 ans, croupit en prison – probablement dans le bagne d’Eiraeiro – sans chef d’inculpation ni procès, privé d’avocat, de médecin, et des visites de ses proches. L’homme paie pour sa participation à la tentative de démocratisation de cet Etat de la Corne de l’Afrique, à laquelle le président Issayas Afeworki, au pouvoir depuis 1993, mit brutalement fin en 2001. La chape de plomb, qui s’abattit alors, ne s’est pas allégée, réduisant ce pays au silence depuis dix ans.

A l’époque, un vent d’ouverture souffle sur l’Erythrée. Alors qu’une guerre avec l’Ethiopie voisine vient de s’achever, des voix dissidentes – anciens ministres, généraux, députés – critiquent ouvertement les dérives autoritaires du régime. Dawit Isaak, qui vit alors en Suède dont il a acquis la nationalité en 1992, décide de revenir au pays. Né en 1964, ce passionné d’écriture avait quitté l’Ethiopie en 1987, chassé par la guerre civile, et avait trouvé refuge en Suède, où il vivait de petits boulots. Il était retourné dans son pays natal, après l’indépendance de l’Erythrée, en 1993, avait fondé une famille et était devenu l’un des dirigeants du premier journal indépendant, Setit. En 1998, nouvelle guerre et nouveau départ vers la Suède pour Dawit et sa famille. Lorsqu’il revient en 2001, il pense contribuer à une démocratie naissante, et ouvre les colonnes de Setit aux réformistes.

Mais le "printemps d’Asmara", la capitale érythréenne, sera de courte durée. En septembre, le président lance une vaste opération de répression. Dix jours après les attentats du World Trade Center, il écrase la rébellion sans être inquiété. Dawit Isaak n’est pas le seul à tomber : les directeurs de journaux sont arrêtés ainsi que les responsables dissidents. Depuis, plus rien. Ou presque : Dawit est libéré deux jours en 2005, avant d’être à nouveau embastillé.

UN PAYS PARMI LES PLUS RÉPRESSIFS

"Etait-ce une façon de le briser ? Ou bien l’expression de divisions internes ? Nous l’ignorons toujours", avoue Björn Tunbäck, membre de Reporters sans frontières (RSF)-Suède. Depuis dix ans, les autorités érythréennes sont restées sourdes aux campagnes d’opinion pour sa libération, ainsi qu’aux pressions du gouvernement suédois. Elles refusent de reconnaître sa double nationalité et n’ont jamais présenté d’acte d’accusation. Il s’agit d’un crime d’Etat, trop grave pour pouvoir être formulé, a expliqué un proche du président, en août 2010…

Depuis la Suède, Essayas Isaak porte inlassablement le combat pour la libération de son frère aîné. Après avoir saisi, en 2010, le Parlement européen, il a présenté en juillet devant la Cour suprême d’Erythrée une requête en Habeas Corpus. RSF demande à la Suède de sortir de la "diplomatie silencieuse" menée jusqu’ici sans résultat. Dans un récent entretien à la presse suédoise, la femme de Dawit Isaak, Sofia, et deux de leurs trois enfants se sont opposés à une campagne qui le mettrait, selon eux, en danger. "Le silence, c’est justement ce que veulent les dictatures", estime, pour sa part, Björn Tunbäcke.

Le cas de Dawit Isaak n’est pas isolé. Des milliers d’Erythréens sont détenus au secret dans le pays - l’un des plus fermés et répressifs au monde – visé par des sanctions de l’ONU depuis 2009. Les dernières nouvelles de Dawit Isaak datent du témoignage, en avril 2010, d’un gardien de prison réfugié en Ethiopie. Il le décrivait malade – le journaliste est diabétique – et faible. Il racontait de terribles conditions de détention : une promenade d’une heure par jour, des températures de 40 degrés l’été, glaciales l’hiver, l’interdiction de communiquer. Il assurait qu’un grand nombre des opposants raflés en 2001 serait mort. "Depuis début 2010, nous n’avons aucune nouvelle d’Isaak", souligne Björn Tunbäcke. Personne ne peut dire si le journaliste est toujours en vie.

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