« En arrivant, j'ai été choquée... »

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« En arrivant, j’ai été choquée... »

11 avril 2012 - Le Phare Dunkerquois - Propos recueillis par Claire Hohweyer

Cécile Bossy, 30 ans, originaire de Saint-Etienne, a pris la suite de Matthieu Quinette chez Médecins du monde, à Dunkerque, à la fin du mois de février.

Rencontre.
Avant d’arriver à Dunkerque, quelles missions avez-vous assurées ? J’ai suivi, en 2007, une formation à Bioforce, une association humanitaire de Lyon, pour devenir administratrice. J’ai ensuite suivi une mission aux Philippines comme administrative en ressources humaines. J’ai passé un an à Manille. Au moment où j’étais là-bas est survenu le tremblement de terre à Haïti. Je suis partie avec Pompiers sans frontières.
Je suis restée plus longtemps avec Save the children, j’avais un poste de coordination suite à l’apparition du choléra, fin 2010. Je suis donc restée à Haïti encore un an.
L’implication auprès des habitants était importante ? Oui, j’étais intégrée dans une petite association très insérée dans la communauté. Nous donnions l’apport en latrines, faisions la promotion de l’hygiène... Nous étions la seule organisation non gouvernementale (ONG) sur le village. A Manille aussi, j’étais avec les enfants des rues.
Puis, vous avez été recrutée par Médecins du monde. Comment cela s’est fait ? J’avais déjà pas mal croisé l’association sur le terrain et j’avais été interpellée par leur implication. J’étais venue d’ailleurs à Dunkerque et à Calais, en octobre, pour la distribution de kits alimentaires. J’avais vu les camps. J’ai toujours été attirée par cette association, par son travail sur le terrain, ses projets, son volet plaidoyer. Après avoir travaillé à l’étranger, c’est aussi intéressant de pouvoir travailler avec une asso qui connaît le travail en France et à l’étranger. Cela permet de taper du poing sur la table. Car il faut aussi balayer devant sa porte. On se rend compte qu’ici, on a les mêmes problématiques que dans des pays comme Haïti.
Aviez-vous déjà la volonté de travailler avec les migrants ? J’ai été recrutée en février 2012 par Médecins du monde. Et oui, je voulais travailler sur la problématique des migrants mais peser sur le volet social, sur l’éducation. Comment les aider à s’intégrer dans une vie qui n’est pas forcément la leur ? Sans oublier la problématique de leur pays d’origine.
Quelles ont été vos premières impressions en arrivant sur les camps ici ? J’ai été choquée. J’ai appelé des amis en demandant ce qu’il se passait en France, puisque j’avais passé quelques années à l’étranger. Ce sont des camps comme on en voit là-bas, je l’ai vu à Port-au-Prince. L’idée c’est comment mettre ces personnes à l’abri ? Il faut garder leur dignité. Qu’elles soient chauffées, nourries, soignées.
Quelles sont les premières actions que vous souhaitez mettre en place ? Ce n’est pas un changement de personnes qui va changer les objectifs de Médecins du monde (soins et plaidoyer). Les choses sont bien posées et les orientations définies. Je vais agir dans la continuité d’un poste.
Il y a eu une semaine et demi de passation avec Matthieu.
Entrevoyez-vous déjà certaines difficultés ? Dans tous les axes de travail, ce sera difficile, parce que chaque acteur a ses axes, politiques, financiers... En plus, les migrants ne sont pas une priorité. Ce n’est pas "vendable", pas "sexy". L’objectif pour moi est que cette question ne soit pas oubliée.
Après un mois et demi de présence, avez-vous pris vos repères ? Aujourd’hui, je suis plus à l’aise dans la compréhension des contextes, des interactions avec les partenaires. Je travaille sur la gestion des sites. Nous sommes loin d’avoir achevé le travail de qualité par rapport aux normes internationales. Il y a une gestion de l’eau, du bois et des abris. Mais il faut aussi du nettoyage, la gestion des déchets. Ces gens doivent vivre décemment.
Quels acteurs locaux avez-vous déjà rencontré ? Pour le moment, j’ai surtout discuté avec les agents de la Communauté urbaine de Dunkerque. Je rencontrerai bientôt les municipalités concernées par la problématique des migrants. Mais, de toute façon, le travail se poursuit avec la technique et la logistique. J’essaie de passer un maximum de temps avec les migrants. Car on peut faire plein de choses mais si ça ne correspond pas à leurs besoins, ça ne sert à rien. J’ai effectué un accompagnement à la Permanence d’accès aux soins (PASS) pour comprendre les problématiques de l’hôpital. Il y a des petites réussites, comme la mise en place de latrines, qui sont entretenues. Depuis un mois, nous en sommes contents. Lorsqu’on fait des choses de qualité, cela ne provoque pas d’appel d’air. C’est entretenu donc ça marche. Depuis janvier, nous n’avons pas eu plus de migrants. Les abris restent des abris, ce ne sont pas des maisons. Le projet migratoire de ces personnes reste toujours d’actualité.
Avez-vous rencontré officiellement les responsables de la police de l’air et des frontières (PAF) ? Craignez-vous d’autres démantèlements ? J’ai croisé des policiers sur le terrain... Mais aujourd’hui j’ose croire que la police ne va pas détruire des abris financés par la Cud. Sinon, cela n’aurait ni queue ni tête, même si ailleurs, on nous détruit du matériel médical... Que pensez-vous du rapport de la population aux migrants ? Car il a pu y avoir quelques tensions... Aujourd’hui, les gens arrivent à mieux voir ce qu’il se passe. Mais il faut informer. Dernièrement, des jeunes de l’Association d’action éducative et sociale ont participé à une action à Grande-Synthe autour des abris, ont joué au foot avec les migrants. Ils n’y retourneront pas seuls, évidemment, mais nous essaierons de mener d’autres actions. Cela fait tomber les clichés. Il faut énormément d’information et de compréhension des contextes.
Pour combien de temps êtes-vous là et qu’aimeriez-vous mener à bien, dans vos missions ? J’ai signé un CDI, mais je pourrais rester deux à trois ans. J’aimerais pouvoir optimiser l’organisation des sites, travailler sur la qualité de vie dans ces sites, sur la gestion des déchets.
Comment bien approvisionner les douches en eau ? Effectuer des gros ménages de printemps pour ne pas vivre dans une poubelle. C’est important pour eux, pour nous, pour la population, pour tout le monde. Si les migrants vivent dans de meilleures conditions, tout le monde s’y retrouvera. Il y a une première phase de construction d’abris, d’une capacité de vingt personnes. Aujourd’hui, il y a entre 30 et 40 migrants donc il faut continuer l’effort. C’est bien, c’est mieux mais nous sommes loin d’avoir abouti. Il faut continuer à oeuvrer pour le droit et la dignité de ces personnes.

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