Habib l’Afghan, six ans d’attente et d’espoir
21 septembre 2010 - La Croix
En décembre 2009, nous publiions pour la première fois le journal d’Habib, l’un des expulsés de Calais. Aujourd’hui, cet homme de 27 ans vit toujours là, dans la plus grande précarité
« Le squat où je vivais a été évacué. Depuis juillet, je dors sous une petite tente. » En cette fin septembre, la voix d’Habib est fatiguée. Cela fait deux nuits qu’il ne dort presque pas. « Avant-hier et hier, la pluie était glaciale. La nuit, le vent secouait les parois en plastique de ma tente. Impossible de fermer l’œil », dit-il, un peu ragaillardi par le retour du soleil. Au quotidien, Habib flirte avec la déprime. Car sa demande de droit d’asile n’a pas avancé d’un pouce depuis six mois.
Ce Tadjik de 27 ans issu de la vallée du Panshir, le fief de feu le commandant Massoud, est arrivé à Calais après un périple tourmenté il y a six ans. Il espérait alors passer rapidement en Angleterre. Échec total. A l’issue de nombreuses péripéties, il a peu à peu renoncé à l’eldorado britannique et décidé de s’installer en France.
Habib a alors entamé un véritable parcours du combattant pour se faire régulariser. En septembre 2009, quelques jours après l’évacuation des Afghans pachtouns installés près du port de Calais, Habib a été expulsé d’un autre campement plus petit installé de l’autre côté de l’autoroute, peuplé, lui, d’Afghans tadjiks et hazaras.
Débouté de sa demande d’asile
Au sortir d’un hiver difficile, ponctué par les vagues de froid, les chutes de neige, la maladie, les descentes de police et un séjour de quelques semaines à Paris, Habib a été débouté de sa demande d’asile par l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (Ofpra). Avec l’aide de Jacky Veraeghen du Secours catholique, il a déposé un recours fin février 2010. Au printemps dernier, il espérait être convoqué à Montreuil (Seine-Saint-Denis) avant l’été, devant la Cour nationale du droit d’asile, pour plaider son dossier.
Mais l’automne est arrivé et le rendez-vous espéré n’a pas eu lieu. Seul fait positif : Habib a trouvé une avocate. Il est venu la voir à Paris, accompagné d’un interprète – car il pense que sa difficulté à s’exprimer en français n’est peut-être pas étrangère à l’échec de sa première demande. « Le rendez-vous s’est bien passé, l’avocate trouve que son dossier est bon, semble-t-il », avance prudemment Jacky Veraeghen.
Habib doit revoir prochainement son défenseur. Il garde espoir, malgré tout. En attendant, il tue le temps comme il peut. Faute de papiers, il n’a pas le droit de travailler. Ses journées s’écoulent donc dans la morne répétition de rendez-vous toujours identiques : visite le matin au Secours catholique pour boire un café, fumer une cigarette, bavarder quelques minutes avec Jacky Veraeghen avec lequel, au fil des ans, une sorte d’amitié s’est installée.
Au fil des ans, Habib a lié des connaissances
Vers 13 heures, repas distribué par l’association La belle étoile. Puis Habib retrouve d’autres migrants dans le parc Saint Pierre, près de la gare. À plusieurs, on tue plus facilement le temps. « Il y a surtout des Africains, pas plus d’une dizaine d’Afghans », assure-t-il. En fin d’après-midi, second repas. Cette fois, c’est l’association Salam qui nourrit les migrants. Retour, ensuite, à la solitude de sa tente.
Heureusement, au fil des ans, Habib a lié des connaissances. « À Calais, je connais tout le monde », fanfaronne-t-il parfois. Tout le monde ? En réalité, les associations, leurs permanents, leurs bénévoles… À l’occasion, il n’hésite d’ailleurs pas à leur donner un coup de main. L’autre jour, quand le Secours catholique a déménagé son local pour s’installer à la lisière de la ville, tout au bout de la rue Saint-Omer, Habib était de la partie.
Il n’a pas rechigné devant la masse imposante de cartons à charger et à décharger. Trop content de se rendre utile, d’avoir quelque chose à faire. De partager un peu de chaleur humaine. « Tous les quinze jours, je vais aussi donner un coup de main pour le vestiaire (distribution gratuite de vêtements aux migrants), dans une église », raconte-t-il encore. Bénévolement, toujours.
Ce qui fait peur à Habib, c’est la police bien sûr, omniprésente. Et également le temps qui passe. Sa vie qui n’avance pas. Dans quelques mois, il aura 28 ans. Et il n’a ni métier, ni travail, ni logement, ni femme, ni enfant… Et plus de nouvelles des siens, restés au pays, depuis qu’il a dû changer de numéro de portable à l’été. Rien que d’en parler, sa voix se serre. « C’est dur, tout ça… » Il y a aussi l’hiver qui approche. A-t-il de quoi se couvrir ? « Oui, ça va, j’ai un bon duvet. Et quand il fait trop froid, je viens me blottir contre la porte de l’Église toute proche. »
Source
|