L'errance des migrants, dix ans après Sangatte

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L’errance des migrants, dix ans après Sangatte

5 novembre 2012 - Le Monde - Elise Vincent

Ceux qui chercheraient des traces du centre pour réfugiés de Sangatte dans les pierres et les mémoires de cette petite station balnéaire du littoral de la Manche ne trouveront plus aujourd’hui, dix ans jour pour jour après la fermeture de ses portes - le 5 novembre 2002 - que des monticules de terre avec vue sur la mer. Le hangar qui avait ouvert en 1999, à la suite d’un afflux de réfugiés fuyant la guerre du Kosovo, avait été construit sur une colline. Une butte de laquelle on aperçoit toujours les côtes anglaises à chaque fois que le temps est clair.

Dix ans plus tard, les migrants se sont tous évaporés. Les pavillons qui jouxtaient le centre ont retrouvé leur quotidien rangé. Les 8 kilomètres de route nationale qui séparent Sangatte du tunnel sous la Manche n’assistent plus, chaque nuit, à un défilé de silhouettes éreintées marchant avec l’espoir de se glisser clandestinement à l’arrière d’un camion. Il n’y a plus non plus ce ballet de "taxis-police" ramenant inlassablement au centre, chaque matin, ceux qui avaient échoué à passer au Royaume-Uni, et dont le défaut de pièces d’identité empêchait l’expulsion.

Comme le résume le maire (sans étiquette) de Sangatte, Guy Allemand, ce climat passé n’a laissé qu’une "égratignure" à son hameau de 900 habitants : "son nom". Depuis dix ans, Sangatte est invariablement associé à l’ancien centre géré par la Croix-Rouge où les migrants venaient chercher lit, repas, douches et soins de première urgence. Le maire annonce toutefois qu’un golf de 18 trous verra bientôt le jour à la place de l’ancien hangar.

Les après-midi de plage sont donc désormais plus sereins à Sangatte, à entendre les habitants. Les kitesurfeurs l’ont adopté comme lieu de glisse. Mais la question de l’immigration n’a fait qu’un pas de côté. En témoigne ce centre WWF de la commune, où de novembre à mars, une demi-compagnie de CRS (80 hommes) prend ses quartiers d’hiver. Sa principale tâche est toujours de limiter le trafic des passeurs et des migrants.

CAMPEMENTS PRÉCAIRES

Depuis la fermeture de Sangatte - mise en oeuvre par Nicolas Sarkozy à cause du nombre exponentiel d’arrivées (prévu pour 800 personnes, le centre en a hébergé jusqu’à 1 800) -, les clandestins sont en réalité allés s’installer juste 12 kilomètres plus loin : à Calais. La destruction du centre a bien baissé leur flux mais il ne l’a pas tari. Ne serait-ce que parce que les années 2000 ont été marquées par d’importants conflits, notamment en Afghanistan depuis 2001, en Irak et au Darfour depuis 2003.

A défaut de lieu d’accueil, pendant un temps, les nouveaux migrants se sont regroupés dans des abris de fortune sur un terrain vague proche des passages de camions pour le Royaume-Uni. C’est ce qui est devenu la "jungle" et a regroupé jusqu’à 800 personnes. Un terrain démantelé par le ministre de l’immigration Eric Besson, à l’automne 2009. Comme M. Sarkozy avec Sangatte, M. Besson espérait limiter "l’appel d’air".

Dans les faits, il n’y a plus, aujourd’hui, à Calais même, qu’environ 200 à 300 migrants en transit. Les autres (environ 500) s’éparpillent dans des petits campements le long du littoral, près des axes et parkings autoroutiers où circulent et stationnent les poids-lourds en route vers le tunnel sous la Manche ou les ferries. Mais ces campements sont précaires, problématiques pour l’accès au droit - notamment celui d’asile - et ne respectent pas "l’intégrité physique" des migrants, dénoncent les militants des droits des étrangers.

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Pour parer à cette précarité, tout un réseau d’associations, la plupart soutenues financièrement par la mairie, le conseil général ou le conseil régional, s’est développé. Une distribution des repas a été mise sur pied sur un parking de Calais. Des cabines de douche ont été installées, un centre d’accueil de jour géré par le Secours catholique a été créé, en 2010. Une permanence gratuite d’accès aux soins a été ouverte fin 2006. Et un centre pour mineurs isolés vient d’être ouvert.

Mais pour les associations, dont Médecins du monde ou France terre d’asile, ces efforts n’améliorent pas beaucoup les conditions de vie des migrants qui mettent entre trois semaines et plusieurs mois à passer au Royaume-Uni, s’ils ne sont pas interpellés.

Repas, douches, toutes les structures ont été volontairement éloignées les unes des autres, afin d’éviter les effets de "fixation". Elles ont presque fini par habituer les Calaisiens à voir marcher dans leurs rues des migrants trempés et transis les jours de mauvais temps. Une quarantaine de personnes ont pris part, dimanche 4 novembre, à une "marche du souvenir" pour réclamer des "conditions d’accueil dignes" pour les migrants.

La maire de Calais, Natacha Bouchard (UMP) - pour qui la question des migrants est devenue le principal sujet de demandes d’entretien - considère toutefois avoir atteint aujourd’hui, la situation "la moins pire". "Sachant que les accords de Schengen ne vont pas tomber demain, on essaye de maintenir l’ordre et un certain équilibre humain", explique-t-elle, en avançant les sommes dépensées pour aider les migrants depuis le début de son mandat en 2008 : environ un million d’euros.

NOUVELLE GÉNÉRATION DE MILITANTS, PLUS RADICAUX

"Nous avons réussi à desserrer l’étreinte sur le Calaisis", défend lui aussi, le préfet du Pas-de-Calais, Denis Robin. Un "desserrement" lié à une pression policière continue mais assumée. Depuis 2009, chaque squat découvert est évacué et les contrôles d’identité sont multipliés au maximum. Un travail qui a " étiré" les réseaux, explique le procureur de Boulogne-sur-Mer, Jean-Philippe Joubert. Ceux-ci partent désormais de plus en plus de Paris, Lille ou de Belgique.

En juin 2011, des militants ont toutefois dénoncé cette pression, considérant qu’elle avait engendré des dérives policières avec violences et harcèlement. Le Défenseur des droits a été saisi et devrait bientôt rendre son rapport. Dans le même temps, depuis août, à la suite d’une circulaire du ministère de l’intérieur, un nouveau mode de concertation a été mis en place entre préfecture et associations. Un énième épisode dans l’histoire sans fin du dossier immigration dans la région.

Depuis quelques années, cette situation attire d’ailleurs une nouvelle génération de militants, plus radicaux, libertaires, venus notamment du Royaume-Uni : les "No Borders", bêtes noires de la police aux frontières. Et ce, alors que les bonnes volontés des associations traditionnelles, surtout les plus anciennes, ont commencé à s’user.

A la Belle étoile notamment, l’association qui distribue les repas de midi aux migrants, créée avant même le centre de Sangatte, Nadine, la cuisinière, 60 ans, partira fatiguée à la retraite en février. Quant à Joël, 65 ans, l’ancien postier, longtemps de toutes les réunions en préfecture, il répète à l’envi : "Il n’y a qu’une seule solution pour changer les choses : repousser l’Angleterre un peu plus loin."

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Encore 7 000 migrants interpellés tous les ans

Le centre de Sangatte En trois ans, il a vu passer environ 70 000 personnes et en comptait 1 500 lors de sa fermeture, évacuées du 5 novembre au 22 décembre 2002. Le Royaume-Uni en a accueilli 1 300, la France 200.

Interpellations La police aux frontières avait procédé à plus de 80 000 interpellations de sans-papiers dans le Calaisis en 2001. Elle en effectuerait aujourd’hui autour de 7 000 par an, selon la préfecture du Pas-de-Calais.

Morts Dix-sept morts ont été recensés en 2002 parmi les migrants dans des accidents de circulation, par écrasement, électrocution ou dans des rixes. Il y aurait eu deux décès en 2012, l’un dans une rixe, l’autre par noyade.

Nationalités En 1999, les migrants étaient surtout originaires de l’ex-Yougoslavie. En 2012, 25 % venaient d’Afghanistan, 25 % d’Iran, 25 % d’Erythrée, les autres surtout d’Albanie.

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