« La solidarité est un combat contre l’injustice et le déni d’existence . »
31 mai 2010 - Macif tandem, le journal des sociétaires n°28
Pour les besoins de son film Welcome, le réalisateur Philippe Lioret a rencontré des bénévoles engagés auprès de clandestins, à Calais. Ce sont, pour lui, les héros des temps modernes, ceux qui luttent pour la dignité de l’être humain, quel qu’il soit.
Pour préparer votre film Welcome, vous êtes allé à la rencontre d’associations d’entraide. Existe-t-il selon vous une « attitude solidaire » commune aux personnes qui s’engagent ?
J’ai rencontré à Calais des bénévoles qui ne font pas de leur engagement une question politique. Leur but est tout simplement humain. L’idée de voir des gamins de vingt ans affamés dormir dans le froid à deux pas de chez eux leur est insupportable. Tous mènent un combat de fourmi désintéressé et anonyme pour soulager la douleur et préserver, contre vents et marées, la dignité de l’autre, d’où qu’il vienne. Ils ont en commun une qualité admirable : le don inconditionnel de soi.
Vous semblez fasciné par les combats solidaires. Pourquoi ?
Il plane toujours dans mes films cette sensation de ne jamais être tout à fait à la bonne place au bon moment, peut-être un parfum d’errance personnelle, d’exil intime. Les jeunes Afghans de Calais fuient un pays en guerre et une mort probable. Ils tentent par cet exode de sauver leur peau et d’avoir un avenir, ailleurs. Ils arrivent chez nous dans le dénuement le plus complet. Vulnérables et démunis, ils subissent alors des vexations et des exactions inimaginables, légitimées par ceux qui s’acharnent à prôner le harcèlement et la violence comme seule réponse aux flux migratoires. La solidarité est une main tendue à ce désarroi. C’est un combat contre l’injustice et le déni d’existence. Les gens solidaires dont des gens en résistance, des insurgés. Leur solidarité, on en fait d’ailleurs un délit ! Mais ils continuent, portés par un élan impérieux d’humanité. Cette générosité humaine absolue me touche profondément et me passionne. Les bénévoles des associations d’entraide sont les héros des temps modernes.
Pour vous, le nom contemporain de fraternité serait-il justement solidarité ?
Je n’en sais rien. Les nuances sémantiques passent après l’action d’urgence : aller au-devant des autres, s’émouvoir de leur détresse et faire quelque chose pour eux. J’ai rencontré des bénévoles qui ne pouvaient pas fermer l’œil dans leur lit quand il pleuvait la nuit. Parce qu’ils savaient que les jeunes Afghans ne pouvaient pas dormir dans la « jungle » de Calais, trempés jusqu’aux os sous la pluie. Ils partageaient au plus profond d’eux-mêmes la condition de ces hommes traités comme des bêtes. Cette fraternité surgit dans l’intimité de l’engagement solidaire, pour combler un manque de liberté et d’égalité. Et certains tentent de l’entraver…
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