Le documentaire qu'il faut voir à Lussas

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Le documentaire qu’il faut voir à Lussas

22 août 2010 - Le Monde - Isabelle Regnier

Quand août prend fin, l’heure de Lussas sonne pour les amoureux du cinéma documentaire. Ils viendront parfois de loin, et se retrouveront dans la petite ville de l’Ardèche (1 000 habitants), du 22 au 28 août. Parce que l’offre est de qualité dans ce festival intitulé Etats généraux du documentaire. Et qu’elle est pléthorique : plus de cent quarante films et des débats...

L’offre est telle qu’il serait dommage de manquer Qu’ils reposent en révolte (des figures de guerre), de Sylvain George, programmé lundi 23 août, à 21 heures. Ce film a été révélé en juillet au Festival international du documentaire (FID) de Marseille. Il apporte tout à la fois une nouveauté dans le genre, et impose son sujet avec la force d’une déflagration.

Tournée pendant trois ans, à partir de juillet 2007, à Calais, aux côtés des migrants qui transitent dans cette ville et y stagnent, traqués, cette fresque de deux heures et demie frappe par son souffle et son acuité politique. L’image numérique est d’un noir et blanc charbonneux, magnifique.

Le film, construit comme une succession de blocs d’action, fait l’effet d’une improvisation de jazz filmique, sur ce que serait la vie de ces gens à Calais. "Pas tout à fait vivant, pas tout à fait mort, pas tout à fait humain, pas tout à fait animal... Entre les deux", commente un de ces migrants, en riant. C’est l’intelligence de l’auteur, que d’avoir restitué aux hommes filmés l’humanité dont les politiques d’immigration oeuvrent à les déposséder.

Sylvain George ne filme pas des "sans-papiers" mais des êtres humains - vivants, lucides, consumés par la colère mais prêts à blaguer pour peu que la tension veuille bien redescendre quelques instants. Il montre leurs visages de près, des tirades lâchées à la face du monde, la manière dont, malgré des conditions de vie lamentables, on se fait plaisir, en s’aménageant un repas convivial dans la rue, en prenant un bain dans une rivière.

A coup de rasoir

Le point de vue de Sylvain George résulte de sa démarche : il passe peut-être plus de temps la caméra éteinte qu’allumée. "Je suis persuadé qu’un grand film se mesure aussi à l’aune des images qu’on n’a pas tournées", soutient-il. C’est de cette proximité acquise avec ses personnages, de la confiance qu’il a obtenue, que vient la richesse de son film, sa vérité, sa densité. A partir de là, il peut construire des rimes, monter ses séquences, au fond, comme on mixe des samples de musique. Il peut confronter la douceur d’une douche de rosée sous des feuillages ensoleillés - qui pourrait figurer dans Une partie de campagne, de Renoir - avec un épisode durant lequel des hommes effacent à coup de rasoir et de brûlures leurs propres empreintes digitales. Il fait jaillir de cet effet de contraste la violence du monde actuel.

Par des effets de montage heurté, ou distendu, qui renvoient à la dislocation de ces vies, la rythmique des corps s’articule avec les signes de l’espace urbain, avec les mouvements des grues utilisées pour détruire, en septembre 2009, les jungles de Calais. En se postant sur cette zone frontière, c’est le coeur même de la planète qu’interroge Sylvain George, tendu à bloc entre Nord et Sud, riches et pauvres, centre et périphérie.

Venu au cinéma il y a cinq ans, après avoir enchaîné des emplois dans le secteur social, et mené plus ou moins en parallèle des études de science politique, de droit, de philosophie et de cinéma, ce quadragénaire bouillonnant dit trouver dans ce médium le moyen d’établir une relation dialectique avec le monde. Avec ce film, il a touché son but.

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