Manuel Valls : "Il faut réformer un système d'asile à bout de souffle"

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Manuel Valls : "Il faut réformer un système d’asile à bout de souffle"

4 mai 2013 - Le Monde - propos recueillis par Elise Vincent

Après trois années d’âpres négociations, la Commission européenne a annoncé, vendredi 26 avril, qu’un accord avait enfin été trouvé par les Etats membres sur un système d’asile commun. Ils ont désormais deux ans pour transposer ces dispositions. Manuel Valls, ministre de l’intérieur, explique la réforme qui va être lancée en France.

L’une des mesures-clés de l’accord européen est l’uniformisation des délais d’examen des demandes d’asile de "six à neuf mois". C’était aussi une promesse de François Hollande. Etes-vous prêt ?

Manuel Valls Oui, et pas seulement du fait des négociations européennes. Il y a dans le monde des personnes qui subissent l’arbitraire, la terreur et les persécutions. C’est l’honneur de la France de protéger ceux qui, sans son aide, seraient en grand danger. Mais notre système d’asile est à bout de souffle, je ne l’accepte pas. Il faut le réformer. Depuis 2007, les demandes d’asile ont augmenté de 70 %. Avec 61 000 demandes en 2012, la France est le deuxième pays européen le plus sollicité.

La hausse de la demande d’asile n’est pas nouvelle et ne dépasse pas le pic de 1989 (61 400)...

Je ne fais pas de comparaison. Aujourd’hui, les délais d’examen des dossiers sont en moyenne de seize mois, sans compter la phase en amont de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides (l’Ofpra). Les centres d’hébergement des demandeurs d’asile (CADA), qui devraient être la norme, sont, eux, saturés et proposés à seulement 30 % des demandeurs. On a donc recours de façon massive à l’hébergement d’urgence, au détriment des demandeurs d’asile comme des finances publiques. Tout le monde est perdant.

Comment allez-vous faire ?

Je vais lancer une grande consultation nationale avec les associations et les élus locaux à partir de juillet. Elle sera animée par un parlementaire et se conclura à l’automne. Il faut en effet tout revoir : la qualité de l’accueil, celle de l’hébergement, l’accessibilité de la procédure... Il y a une trop grande concentration des demandeurs d’asile : plus de 45 % arrivent en Ile-de-France. Des départements comme l’Oise sont débordés, ainsi que des grandes villes comme Lyon, Rennes ou Dijon. Sur certains aspects, comme le logement, nous procéderons par voie réglementaire. Les dispositions européennes pourront, elles, être intégrées à un projet de loi.

Mais comment faire baisser ces délais sans rogner les droits des demandeurs d’asile ?

Grâce notamment à un nouveau schéma d’organisation à l’Ofpra, où des recrutements sont en cours. Nous allons aussi simplifier toutes les étapes, de la domiciliation jusqu’à l’accueil en préfecture. Il faut diminuer le nombre d’acteurs tout en étant plus directif pour imposer aux demandeurs d’asile d’aller dans des régions moins surchargées.

Jean-Marc Ayrault a annoncé en décembre 2012 la création de places d’hébergement. Quand et où vont-elles être créées, sachant que peu d’élus se battent pour les accueillir ?

Sur les 9 000 places d’hébergement qui seront créées, 4 000 seront dédiées aux CADA, dont 2 000 ouvertes dès le 1er juillet, les autres avant le premier trimestre 2014. Comme cela se fait dans d’autres pays, il faudra désigner des villes et des régions. Cela fera partie des points abordés lors de la consultation avec les élus locaux.

Le système Dublin II, qui permet de renvoyer le demandeur dans le premier pays européen traversé, ne fonctionne guère. Pourquoi la France s’est-elle opposée à sa réforme lors des négociations européennes ?

Le système Dublin est une idée forte qui vise à responsabiliser les pays, et la France a toujours souhaité qu’il fonctionne mieux. Notre pays réadmet plus de migrants "dublinés" qu’il n’en transfère vers d’autres Etats membres. Mais un grand nombre de ces personnes sont des familles, donc plus difficilement éloignables. L’autre problème c’est que, en pratique, peu de déboutés sont éloignés. S’ils restent en France sans titre de séjour, ils dévoient le droit d’asile, et relèvent alors de la lutte contre l’immigration irrégulière. C’est l’objet de la réforme équilibrée que je souhaite : il faut aussi une action déterminée sur les déboutés. Je serai intransigeant sur ce point.

Le manque de moyens de la Cour nationale du droit d’asile (CNDA), l’instance d’appel des demandeurs d’asile, contribue aussi à bloquer le système. Cela va-t-il être revu ?

La CNDA ne dépend pas de moi mais de la justice administrative. Une réforme est effectivement en cours et j’ai rencontré récemment le vice-président du Conseil d’Etat pour que les choses puissent avancer rapidement. La procédure devant la CNDA sera profondément revue par un décret publié avant l’été.

Allez-vous revoir le fonctionnement de la liste des "pays sûrs", qui soumet les ressortissants des Etats inscrits à un examen express de leur dossier, et produit de nombreux déboutés ?

Je suis ouvert à un examen de cette liste mais il faut être responsable : toutes les demandes ne se valent pas et il faut pouvoir les hiérarchiser. Il faut être lucide et avoir bien conscience des pays d’où viennent les abus, sans stigmatiser les populations. Une part non négligeable de la demande d’asile correspond en réalité à de la migration économique.


Un système d’asile commun en Europe

L’accord sur l’asile, annoncé vendredi 26 avril par la Commission européenne, s’attaque au "système d’asile commun". Aujourd’hui, un migrant qui dépose sa demande d’asile en Grèce – principale porte d’entrée des migrants en Europe – a en effet beaucoup moins de chances d’obtenir le statut de réfugié que s’il la formule, par exemple, en Allemagne. Le but de l’accord est de parvenir à des normes communes pour l’accueil, le traitement des demandes et la garantie des droits. Après trois ans de négociations, les Etats membres n’ont toutefois pas réussi à s’accorder pour revoir le système de Dublin, qui impose que la demande d’asile soit traitée par le pays d’entrée dans l’UE. C’est le principal échec de la négociation.

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