Mort d’un père et de sa fille entre le Mexique et les Etats-unis (Libération).
29 juin 2019 -
LIBERATION : MIGRANTS
Mort d’un père et sa fille entre le Mexique et les Etats-Unis : la photo qui accuse
Par François-Xavier Gomez — 26 juin 2019 à 18:54
L’image des cadavres d’un jeune salvadorien et son enfant de 23 mois, noyés dans Rio Grande, qui sépare les deux pays, a fait le tour du monde et alerté sur la politique migratoire de l’administration américaine.
(Même si nous comprenons et respectons la décision de l’équipe de "Libération", nous avons fait le choix de ne pas publier cette photo, mais seulement l’article.)
Oscar Alberto Martínez Ramírez avait placé sa fille de 23 mois sur son dos, sous sa chemise, pour la protéger pendant la traversée. C’est dans cette position, soudés l’un à l’autre, qu’on a retrouvé dimanche les deux corps sans vie sur la rive mexicaine du Rio Bravo (nommé Rio Grande aux Etats-Unis). La photo montrant les cadavres du père et de l’enfant a suscité une vague d’émotion à travers le monde. En premier lieu au Salvador, le pays d’Amérique centrale qu’avaient fui les victimes, au Mexique où s’est déroulée la tragédie, et aux Etats-Unis, la destination qu’ils n’atteindront jamais.
« Le rêve américain n’est pas comme on le raconte », titrait mardi le quotidien salvadorien la Prensa Gráfica, en citant Rosa Martínez, la mère d’Oscar Alberto. Le jeune homme de 25 ans avait quitté la ville de San Martín, dans le centre du Salvador, le 3 avril, emmenant avec lui sa femme Tania Avalos, 21 ans, et leur fille Valeria. Lui travaillait comme cuisinier dans une pizzeria, elle avait quitté son emploi dans un restaurant chinois à la naissance de leur enfant. Sans moyens pour prendre leur indépendance, ils vivaient sous le toit maternel. Emigrer aux Etats-Unis était pour eux la seule possibilité de pouvoir construire un jour leur propre foyer.
Menace
Le couple et leur enfant ont traversé le Guatemala avant d’entrer en territoire mexicain où ils étaient hébergés dans un foyer pour migrants. Selon la presse salvadorienne, ils avaient manifesté leur désir de demander l’asile politique aux Etats-Unis, et le Mexique leur avait accordé un visa temporaire pour leur permettre d’effectuer les démarches. Mais celles-ci, gérées par des fonctionnaires américains en territoire mexicain, sont interminables. Après deux mois d’attente, le couple a décidé de traverser le fleuve à la nage pour gagner le pays voisin.
Le témoignage de la sœur du jeune homme, recueilli par le quotidien salvadorien Diario de Hoy, éclaire les motivations du couple : « Ils redoutaient que la situation des migrants ne se détériore [au Mexique] à cause des pressions de Trump. » Le président américain a en effet brandi, fin mai, la menace d’imposer des droits de douane sur tous les produits mexicains importés si son voisin ne s’engageait pas à freiner la vague de clandestins en provenance d’Amérique centrale. Le chef de l’Etat mexicain, Andrés Manuel López Obrador, a cédé et signé un accord le 7 juin, qui donne à son pays quarante-cinq jours pour prendre des mesures concrètes. Mexico a d’ores et déjà déployé 15 000 hommes à la frontière nord et 6 500 à la frontière avec le Guatemala, au sud.
Le week-end dernier, c’est une autre photo qui a placé le gouvernement mexicain dans l’embarras. On y voit deux femmes et une fillette arrêtées par des membres lourdement armés de la garde nationale mexicaine, au moment où elles tentaient de traverser le fleuve frontalier. Cible de vives critiques, López Obrador a démenti mardi qu’un ordre ait été donné aux militaires d’interpeller les clandestins dans le cadre de l’accord conclu avec Washington.
Courant
Dimanche après-midi, le temps était clément et le Rio Bravo semblait calme. Accompagnés d’un ami, Tania et Oscar Alberto tentent avec la petite Valeria la traversée au niveau du pont international qui relie la ville de Matamoros à celle de Brownsville, au Texas. Mais ils ont probablement sous-estimé la force du courant et le père et l’enfant ont été emportés, sous les yeux de la mère qui a regagné la rive mexicaine. Où, en larmes, elle a prévenu par téléphone sa belle-mère.
Le jeune président du Salvador, Nayib Bukele (37 ans), entré en fonction le 1er juin, a annoncé que le rapatriement et l’inhumation seraient pris en charge par l’Etat. Le 19 juin, pour son premier déplacement officiel, il avait rencontré Andrés Manuel López Obrador à Tapachula, dans le sud du Mexique, pour avancer sur les questions migratoires. En campagne, ce nouveau venu en politique s’était engagé à combattre la corruption et la toute-puissance des maras (gangs criminels) qui rackettent la population. Les deux plaies du Salvador, et les raisons principales de l’exode à haut risque de sa population.
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