Mortelles migrations
16 octobre 2010 - Libération - Catherine Wihtol De Wenden
« Depuis le milieu des années 70, l’Europe s’est lancée dans une politique de restriction de l’immigration qui a produit un grand nombre de clandestins et ne correspond ni au profil ou aux motivations de ces immigrés, ni aux besoins des pays d’accueil européens. Un décalage s’est fait jour entre les politiques migratoires et la réalité des flux.
« Beaucoup de migrants aspirent à circuler sans nécessairement souhaiter se sédentariser définitivement. C’est la conséquence d’une plus grande mobilité des facteurs de production, comme le capital et la main-d’œuvre. Plus les frontières sont ouvertes moins ils s’installent car ils peuvent aller et venir.
« Les chiffres de cette carte de 2006 sont encore actuels (l’estimation est de 14 000 morts de 1998 à 2008 en Méditerranée), mais il faut savoir qu’on ne connaît que le tiers des morts par noyade, car beaucoup ne sont pas retrouvés.
« Les endroits les plus meurtriers sont les portes d’entrée de l’Europe, notamment là où les lignes de fracture sont les plus fortes (Méditerranée) et où la peur des contrôles de la police des frontières entraîne la prise de gros risques.
« Le système Frontex, créé en 2003, est une équipe de gardes frontières de différents pays membres de l’Union agissant dans un Etat confronté à une pression migratoire particulière. Donc d’autres frontières s’établissent à distance, dans les pays de départ ou de transit : des pays riverains de l’Europe deviennent des Etats gardes frontières (par exemple le Maroc). Du coup ces Etats deviennent à leur tour des pays d’immigration, et mettent en place des politiques de containment à l’égard de leurs voisins du sud. D’autres formes d’enfermement apparaissent en amont dans les pays d’arrivée (zone d’attente des aéroports) ou en aval (centres de rétention).
« Les suicides concernent plutôt les désespérés, ceux qui ont échoué à passer et se retrouvent voués aux reconductions à la frontière dans les centres de rétention. L’Allemagne regroupe un grand nombre de ces centres.
« La présence de plusieurs cercles (par exemple sur le détroit de Gibraltar) fait apparaître la surutilisation de points de passage par différentes migrations, et une surveillance accrue de ce point de passage.
« Il va de soi que ces morts sont une illustration parmi d’autres des effets pervers des politiques répressives dont le coût, non seulement humain mais aussi financier, est très élevé pour une efficacité jamais vérifiée. Récemment, Eric Besson estimait à 12 000 euros le coût d’une reconduction à la frontière par personne.
« Les frontières sont à la fois physiques et de plus en plus abstraites, elles se déplacent à l’intérieur des Etats : pour les extracommunautaires le défaut de papiers constitue une frontière lourde de conséquences pour le travail et la mobilité. Une fois franchies les frontières juridiques, par régularisation, mariage, etc., une autre frontière perdure parfois, celle des discriminations. »
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