Norrent-Fontes : rencontre avec des migrants en quête d'une vie meilleure

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Norrent-Fontes : rencontre avec des migrants en quête d’une vie meilleure

15 novembre 2013 - La Voix du Nord - Sheerazad Chekaik-Chaila et Johan Ben Azzouz

Le 3 octobre, le naufrage d’une embarcation au large de Lampedusa fait 366 victimes. À Calais, le 9 octobre, un Érythréen se noie alors qu’il nage jusqu’aux ferrys. Le 30 octobre, 92 migrants, dont 52 enfants, décèdent dans le désert nigérien. À Norrent-Fontes, établi entre deux champs, un campement, sans eau courante ni électricité, abrite une soixantaine de ces exilés africains. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs histoires ?

« Nous voulons une vie meilleure. » Ils ont les pieds dans la boue, le sourire aux lèvres. Les voilà en France, à Norrent-Fontes. Dernière étape avant l’Angleterre, synonyme de la fin d’une longue errance.. En moyenne, ces réfugiés, Soudanais, Éthiopiens et pour la plupart Érythréens, passent sept ans sur les routes.

En Érythrée, les pénuries sont courantes. Le service militaire est obligatoire pour les hommes et les femmes. Pour recruter, des rafles sont organisées dans les villages. Les déserteurs sont mitraillés. Ceux qui le peuvent fuient, par milliers. Premier exploit. Commence un long périple pour les « passengers » – Éthiopie, Soudan, Libye, Grèce ou encore Italie – avec un espoir : rejoindre les côtes anglaises.

« En Grèce, ils nous ont battus. Nous n’avions pas le droit de manger. Ils étaient racistes », chuchote un père de famille. Lui, son épouse et ses deux enfants ont rencontré des néonazis.

Steeve, le fils de 16 ans, évoque ses rêves. « Je veux être photographe », dit-il entre deux cordes sur lesquelles du linge humide se balance. Avant de partir, je lui propose d’en reparler lundi, date de ma prochaine visite. Il rit. « Oh mon Dieu, j’espère que je ne serai plus là. » La famille tente le passage depuis trois semaines. « C’est long, surtout pour ma petite sœur. Elle n’a que dix ans. »

Nous sommes jeudi, veille de la Toussaint. La nuit vient de tomber. Une migrante, tête couverte, invoque Allah à côté d’un autel dédié à la Vierge Marie. Autour d’elle, une cacophonie de voix stridentes. « Ce sont bien des femmes ! », ironise Éric, un bénévole.

« Ils se préparent »

Dans les deux autres « houses », qui servent de dortoirs aux hommes, on s’active. Certains enfilent une deuxième paire de chaussettes. D’autres rassemblent de maigres effets personnels. « Ils se préparent », glisse Nan Suel, présidente de Terre d’errance. Pour aller où ? « Au parking », à Saint-Hilaire-Cottes.

Depuis l’aire d’autoroute, au bord de l’A26, chaque soir de semaine, ils tentent un nouveau passage. Parfois, ils sont jusqu’à quarante au parking. Quand les chauffeurs de camions quittent les cabines, eux grimpent dans les remorques. Certains se cachent sous les essieux. À Calais, les routiers se soumettent aux contrôles avant d’emprunter le ferry. Pour ceux qui franchissent la mer et qui ne sont pas renvoyés, une nouvelle vie démarre.

Des repères outre-Manche

Pourquoi l’Angleterre ? « J’ai des amis là-bas. », « Moi, de la famille. », « On a plus vite accès à des papiers et à des maisons. », « On parle la langue, c’est plus facile pour trouver du travail. Le français c’est trop difficile à apprendre », ajoute Abbah. Ses traits sont tirés. Elle paraît si frêle. Comment a-t-elle résisté à un tel voyage ? La jeune femme est arrivée ce week-end. « Mon mari est resté là-bas. », dit-elle en touchant son alliance. Ses yeux noirs se perdent dans le vide.

« Ils ne doivent pas partir ce soir », s’angoisse Laurence, une bénévole, assise sur le bord d’une couchette. Demain, le 1er novembre, seuls les camions frigorifiques circuleront. Personne ne mesure le risque d’être enfermé vingt-quatre heures dans une chambre froide. Une drôle d’euphorie les porte. Dans l’après-midi, ils ont appris que quatorze d’entre eux avaient réussi.

Un ado comme les autres

Le week-end passe, des nouveaux visages sont arrivés et personne n’est parti. Steeve et sa famille sont toujours là. La petite sœur se repose emmitouflée sous d’épaisses couvertures. Les nuits de veille au parking sont épuisantes et les températures de ce mois de novembre affaiblissent les organismes. Alors la journée, beaucoup dorment. Au réveil, ils font sécher leur linge pour la nuit suivante et jouent aux cartes en attendant le prochain départ.

Steeve me guide sur le camp sous les regards taquins des hommes. Le jeune homme est bavard. Les échanges sont simples mais bouleversants. Il a fêté son anniversaire le 22 octobre. « Nous étions ici. C’est une expérience... particulière. » Mettez-le ailleurs, il est un ado comme les autres. Lunettes rondes, appareil dentaire, allure dégingandée. Comme si le corps avait grandi trop vite pour l’esprit. Le jeune homme songe à voix haute. « En Angleterre, je n’arrêterai pas l’école. C’est trop important. »

L’espoir ou la mort en chemin

Cinq hommes m’expliquent que les familles, restées au pays, ont donné toutes leurs économies pour payer l’expédition. Ce sont des porteurs d’espoir. En retrait, un homme nous toise, méfiant. Il apostrophe mes interlocuteurs. Je ne comprends pas son dialecte. Surveillés, ils n’en diront pas plus sur le coût du voyage. Ni sur les opérations organisées chaque nuit au parking. « On monte, c’est tout. Il n’y a rien de dramatique à chercher. » Et pourtant, tant de choses montrent dramatiques le contraire. Seule certitude : il faut beaucoup d’argent pour financer un tel périple. Ceux qui quittent le pays appartiennent aux classes moyennes et aisées. Steeve affirme qu’ici il y a beaucoup d’étudiants mais aussi des médecins et des professeurs.

« J’ai de la famille exilé au Canada. Ils m’ont payé l’avion jusqu’en Italie, puis le train jusqu’en France. » Abdel montre son trajet sur une carte imprimée à la hâte, en noir et blanc. C’est un privilégié.

Des cicatrices lui lacèrent le visage. Les traces d’affrontements avec l’armée érythréenne ? Une fois outre-Manche, il espère vite trouver du travail pour rembourser ses dettes. « Après je rejoindrai ma famille au Canada. » D’autres pointent du doigt l’Éthiopie, le Soudan puis la Libye. Ils prononcent « désert » à plusieurs reprises. « C’est dur. Il faut marcher avant de trouver un camion pour se faire emmener. » Depuis la Libye, ils ont pris le bateau pour accoster en Italie ou en Grèce. Des morts, il y en a en chemin. Personne ne les évoque. Le dimanche qui a suivi le drame de Lampedusa, les chrétiens sont allés se recueillir, à l’église du village. Dans ce périple mortifère, ceux qui passent sont des héros.

Marie-Claire, infirmière bénévole : « Je ne refuserai pas un coup de main »

« Ça pourrait être moi », disent-ils. C’est pourquoi, à Norrent-Fontes, une vingtaine de bénévoles de Terre d’errance participent à la vie quotidienne du camp. Ils accompagnent les exilés au supermarché. Le vendredi, ils se relaient pour les emmener aux douches des vestiaires du stade de La Roupie, à Isbergues. Marie-Claire,elle, inspecte les plaies et assure les premiers soins.

Cette infirmière, retraitée depuis 2008, multiplie les visites au campement. Quand sa 206 apparaît au bout du chemin boueux, les gens s’animent. Les plus jeunes l’enlacent pour la saluer. Dans ses mains, elle tient des médicaments et des pansements. « Regarde celui-là, il boite. » Direction le médecin du village pour les plus malades. « Il les prend gratuitement », lâche-t-elle assaillie par les questions des migrants. « Franchement, je ne refuserai pas un coup de main. Une autre infirmière ce serait bienvenu. » Elle est épuisée mais refuse de les « abandonner ».

Laurence, une autre bénévole, partage son temps entre Norrent-Fontes et Calais. Elle passe deux à trois fois par semaine ici. Pour elle, la présence des migrants est « une chance ». Ce jour-là, elle transporte une bouteille de gaz dans son coffre. D’habitude, elle s’occupe surtout du linge. « Les gens qui passent laissent des kilos de fringues. Du coup, on les lave au presbytère pour les suivants. » Dans un anglais très approximatif, elle échange quelques mots avec les moins timides. « On discute le bout de gras. Ça fait du bien à tout le monde. »

Nan Suel, présidente de Terre d’errance, est persuadée que cette omniprésence des bénévoles apaise les relations avec les Norrent-Fontois et entre les migrants eux-mêmes. « Ils participent à la vie du village. Ils sont présents à l’église, achètent leurs cigarettes, font des courses à l’épicerie… », résume Marc Boulnois, le maire. « Être avec eux montre qu’ils ne sont pas dangereux », estime Laurence. L’investissement réclame une énergie considérable alors côté bénévoles, les forces s’amenuisent. Et les biens aussi. « L’hiver approche. On va avoir besoin de blousons et de chaussures. »

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