Poursuivis pour avoir refusé de parler
7 mai 2010 - Nord Littoral
Mercredi après-midi, 10 hommes, tous d’origine soudanaise, sont présentés en comparution immédiate. La Justice leur reproche d’être en situation irrégulière en France après avoir été arrêtés à Calais les 7 et 8 avril.
Classique... Mais le dossier soulève les passions parce que tous les prévenus ont entravé une mesure de reconduite à la frontière... en gardant le silence au centre de rétention de Coquelles où ils sont placés depuis un mois. Trois Soudanais arrêtés ont été immédiatement libérés pour des raisons procédurales. En réalité, ces trois personnes ont pu communiquer à l’aide d’un interprète arabe. Les autres s’exprimant dans un dialecte rare ont été maintenus en rétention. Appelé à la rescousse, le consul du Soudan s’est rendu au CRA de Coquelles et a délivré deux laissez-passer pour Khartoum. Les départs étant imminents, l’ONG France terre d’asile a saisi en urgence la Cour européenne des droits de l’Homme en raison des risques de torture en cas d’expulsion. La Cour a immédiatement demandé à l’Etat français de suspendre ces renvois dans l’attente d’un jugement au fond.
« Criminalisation des procédures d’éloignement »
L’affaire aurait pu en rester là, mais c’était sans compter avec la persévérance de l’administration. « Mardi, les retenus ont été extraits du CRA, placés en garde à vue dans l’attente d’une comparution devant le tribunal vraisemblablement sur la base d’un article qui permet de punir de trois ans d’emprisonnement l’étranger qui refuse de collaborer à son propre éloignement », dénonce Pierre Henry, le président de France Terre d’asile. La préfecture du Pas-de-Calais affirme de son côté que les étrangers en situation irrégulière poursuivis se sont enfermés dans « un mutisme absolu » face à la police, ce qui a entraîné des poursuites du Parquet, mais aussi l’ire de France terre d’asile. « Ils assistent à un procès auquel ils ne comprennent rien. » Et l’ONG de dénoncer « une criminalisation des procédures d’éloignement » et accuser la préfecture d’être « un laboratoire des mauvaises pratiques où l’on n’hésite pas à renvoyer autant vers l’Afghanistan que vers le Soudan. » Lors de l’audience, deux interprètes sont à la disposition des prévenus, toutes deux parlent à la fois l’arabe et l’anglais. Des langues que sept des dix Soudanais ne comprennent pas. En défense, les dix avocats, un par prévenu comme l’a souhaité le Bâtonnier, soulèvent immédiatement des exceptions de nullité. En préambule, Me Calonne se dit fière d’être dans cette enceinte judiciaire, tout comme ses confrères, pour défendre cette cause : « Cette procédure nécessitait une réelle mobilisation. Ce dossier ne pouvait pas être jugé discrètement, presque en catimini, comme le souhaitait le ministère public, avec un seul conseil pour 10 prévenus. Chacun a droit à sa défense, d’où notre nombre. Et certains de nos clients, ne comprennent pas la langue. J’ai une impression de honte, de malaise, de mascarade même... Ces hommes sont retenus depuis 26 jours et on leur inflige en plus ce traitement inhumain qu’est celle de comparaître devant un tribunal. La justice est indécente dans ces moments-là... ». Les mots de l’avocate restent forts : « Ces hommes vivent déjà dans des conditions indignes. Et on les humilie encore davantage. Les reconduire au Soudan, au Darfour, mais ça nous laisse tous sur le flanc. Depuis 2003, ce pays est en guerre. Le président de ce pays fait l’objet d’un mandat d’arrêt pour crimes contre l’humanité. Leur pays, c’est l’enfer sur terre. L’identité d’un homme est quelque chose de fondamental, et là, nos clients, c’est C1, C2... C’est inacceptable. Un temps, on tatouait les numéros de matricule... On n’en est pas là. Mais dans ces conditions, comment le tribunal peut-il être valablement saisi ? ».
« Leur pays, c’est l’enfer sur terre »
« Quelle est lourde à porter la robe du procureur de la République, débute Jean-Philippe Joubert. On nous parle de harcèlement, de traitement inhumain... mais la loi est faite pour être respectée, et moi qui représente la société, je suis là pour la faire respecter. Ces hommes ne veulent pas décliner leur identité. C’est pour cela qu’ils sont là. Pour arriver à Calais, ces hommes ont parcouru une longue distance. Ils ont été pris en main par des passeurs. Ce système de défense est un système de défense voulu par les passeurs. Pour eux, se taire, c’est synonyme de garder la liberté. Ils ne veulent pas parler... le tribunal doit donc les placer en détention provisoire, considérant qu’ils n’ont pas donné leur accord pour êtres jugés ce jour et qu’ils sollicitent par conséquent un délai. » Les sept prévenus qui ne parlent ni l’anglais ni l’arabe et n’ont décliné leur identité sont placés en détention provisoire jusqu’au 26 mai 2010, date de leur jugement. _ Les trois autres prévenus ont quant à eux été jugés de suite. Ils écopent de trois mois de prison avec sursis simple et d’une interdiction du territoire français pour trois ans. T.S-M. avec B.G. Salam appelle à un rassemblement symbolique devant la prison de Longuenesse (où sont détenus les sept Soudanais) ce soir à 20h.
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