Tir à la carabine sur deux migrants à Calais : les faits se précisent
17 juin 2014 - La Voix du Nord - M. GO.
Ce lundi après-midi, le Calaisien soupçonné d’avoir tiré sur deux migrants dans la nuit de jeudi à vendredi comparaissait devant le tribunal correctionnel de Boulogne-sur-Mer. Il semble que le jeune homme travaillait en qualité d’agent de sécurité au moment de l’agression. À la demande de son avocate, l’audience a été reportée au 7 juillet.
C’est un jeune homme originaire du Fort-Nieulay, au physique on ne peut plus commun. Il est menotté. Plusieurs membres de sa famille sont venus assister à l’audience. Au dernier rang, discret, le Soudanais qui a reçu un plomb dans le dos dans la nuit de jeudi à vendredi attend, entouré du délégué régional de Médecins du monde et de son avocate, maître Calonne, connue pour défendre les migrants et militants No Borders.
Le prévenu a 26 ans. On n’entendra quasiment pas le son de sa voix. Tout juste répond-il à la présidente du tribunal, en début d’audience, que oui, il souhaite un report de son procès. Toute personne jugée en comparution immédiate peut en effet demander un renvoi pour avoir le temps de mieux préparer sa défense.
Toute la question dès lors pour la présidente du tribunal est de savoir si elle le laisse repartir libre dans l’attente de la nouvelle date d’audience, ou si elle le maintient en maison d’arrêt. Pour la substitute du procureure, cette deuxième option s’impose : les faits sont « tout frais » dans les esprits et on ne sait jamais, le prévenu pourrait être tenté de récidiver ou la victime et son entourage, qui sait, de se venger. Mieux vaut donc que le jeune homme reste pour l’instant en prison. Son avocate maître Pauwels plaide au contraire pour sa libération sous contrôle judiciaire, avec la garantie qu’il reste chez lui et qu’il se tienne à carreaux.
Après délibération, le tribunal tranche : le Calaisien restera écroué pour trois raisons. D’abord, pour éviter qu’il ne soit tenté de renouveler les faits : la présidente rappelle qu’il s’est procuré une arme dans un magasin de Calais et qu’il a tiré à loisir sur des êtres humains. Ensuite, pour être sûr qu’il soit bien présent à la prochaine audience et qu’il ne cherche pas à fuir ses responsabilités. Enfin, pour le protéger d’éventuelles représailles. Il repart donc menottes aux poignets, encadré par les gendarmes. La date de son procès est fixée au 7 juillet.
Il risque jusqu’à trois ans de prison ferme
Le prévenu est soupçonné d’avoir tiré sur deux migrants dans la nuit de jeudi à vendredi, avec une carabine à air comprimé. La victime la plus touchée (celle qui a reçu un plomb dans le dos) a été examinée par un médecin légiste, qui a conclu à une incapacité totale de travail (ITT) de sept jours. L’autre victime, dont on ne retrouve plus la trace aujourd’hui, n’a pas eu d’ITT. Les infractions retenues contre le prévenu sont donc de deux ordres : « violence avec usage ou menace d’une arme sans incapacité » et « violence avec usage ou menace d’une arme suivie d’incapacité n’excédant pas huit jours ». Pour ce type de délit, le Calaisien risque jusqu’à trois ans d’emprisonnement et 45 000 € d’amende.
Que s’est-il passé ce soir-là ?
Dans ce dossier, deux versions s’opposent. Le Soudanais qui s’est constitué partie civile explique qu’il était sorti cette nuit-là de l’aire de distribution des repas pour tenter avec d’autres de se cacher dans un camion en partance pour l’Angleterre. Ils étaient cinq migrants à marcher, depuis la rue de Moscou jusqu’au port, en passant par le pont Vétillard. C’est à hauteur du quai de la Loire que l’un d’entre eux s’est fait tirer dessus, puis un second. Touché dans le dos, le Soudanais raconte qu’il a entendu un craquement, puis senti quelque chose dans son corps et qu’il a eu des étoiles dans les yeux. Il a demandé à ses camarades de regarder ce qu’il avait, et tous se sont mis à crier à la vue de sa blessure. Ils l’ont alors ramené au campement de la rue de Moscou. Victime d’une plaie dans le dos, il a été opéré le lendemain à l’hôpital sous anesthésie générale.
Règlement de comptes ?
Pour le prévenu, le récit est différent. Il a d’ailleurs varié lors de ses différentes auditions. Le Calaisien a expliqué avoir vu deux migrants escalader les grilles de l’entreprise Umicore. Il aurait tiré avec sa carabine pour les faire fuir, sans forcément se rendre compte qu’il les touchait. Il a déclaré aussi qu’il avait un différend avec une famille calaisienne « pro-migrants », et qu’elle l’aurait menacé d’envoyer des migrants lui « régler son compte ». C’est pour se protéger qu’il se serait procuré une carabine à air comprimé. À l’audience, la présidente et la substitute du procureure ont souligné que le prévenu avait en tout cas tendance à « minimiser ses responsabilités » et qu’il n’avait « pas totalement conscience de ses actes ».
Agent de sécurité à Calais
Célibataire et sans enfants, le prévenu travaillait depuis deux ans comme agent de sécurité en CDI pour l’entreprise de son père, Littoral sécurité intervention, basée à Calais. Il vit chez ses parents et toute sa famille réside à Calais, dans le quartier du Fort-Nieulay.
Le jeune homme affiche déjà plusieurs condamnations au casier judiciaire pour des faits de petite et moyenne délinquance mais jamais pour des faits de menaces avec arme, selon la police de Calais. Sa dernière condamnation remonte à septembre 2012 : il avait déjà pour avocate maître Pauwels et avait écopé d’une amende pour avoir outragé un agent dépositaire de l’autorité publique.
Il n’a pas souhaité s’exprimer devant les journalistes hier. Sa sœur et son avocate ont expliqué qu’elles ne souhaitaient pas parler non plus, « pour respecter ses volontés ». Pour l’instant, on connaît peu de choses de sa personnalité. Il aurait expliqué lors de ses auditions s’être procuré sa carabine en vente libre dans un magasin de Calais, mais n’avoir en aucun cas voulu commettre un acte raciste. Il semble que le prévenu travaillait le soir de l’agression. L’audience du 7 juillet devrait permettre d’en savoir plus.
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