Welcome : "Protéger les migrants ne mérite pas la médaille des Justes"
22 mars 2009 - Salam
Raymond Aubrac sort mardi dernier du cinéma où il vient de voir Welcome. A notre demande, ce héros de la Résistance arbitre ici une polémique née avant même la sortie du film, quand son réalisateur, Philippe Lioret, a comparé des migrants sans-papiers à Calais aux Résistants ou aux Justes qui sauvaient les juifs pendant l’Occupation. Leçon d’histoire et d’humanité.
Propos recueillis par Claude ASKOLOVITCH, publié dans Le Journal du Dimanche, édition du 22 mars 2009. Ils vous ressemblent, ces personnages du film de Lioret ? Il y a des points communs. Le sentiment d’injustice, l’idée qu’on ne doit pas rester sans rien faire.
L’optimisme aussi. Dans le petit jeu qu’on appelait la Résistance, il y avait l’idée que notre action améliorerait les choses... La pulsion de résistance, elle est souvent irréfléchie, sans prise en compte
du danger. Une dame que j’ai connue, qui habitait place des Vosges, à Paris, avait saisi par la manche une jeune fille dont on emmenait la famille, pour la cacher dans son appartement... Elle l’a
fait d’un coup, elle a abrité cette jeune fille, elle a vécu quatre ans dans la peur... Mais, sur le moment, elle a agi sans penser.
On ne doit pas sacraliser ce mot, "Résistance" ? Non, pourquoi ? Mais ça ne veut pas dire qu’on égalise tout. Ceux qui protègent les migrants sont altruistes, généreux, sensibles. Mais il y a avec les Justes deux différences fondamentales : ce que risquaient les juifs, et ce que risquaient ceux qui les aidaient. Je trouve injuste et un peu provocateur de dire qu’on mérite la médaille des Justes quand on transporte en voiture sur 4 kilomètres des migrants SDF... Il n’y a pas de vrai risque à protéger des sans-papiers ! Ceux qui aidaient les juifs
pouvaient être livrés aux Allemands, ce n’était pas une convocation à un commissariat de police, une fois par semaine.
"J’approuve ceux qui aident les sans-papiers"
Lioret veut dénoncer des "mécanismes d’oppression" qui s’adossent à la police. Il compare son personnage dénoncé à la police à un résistant dénoncé à la Gestapo... La Gestapo... c’est de la sottise ou de la provocation. Ou de l’ignorance... J’admets la provocation, parce que c’est utile d’attirer l’attention sur ce beau film ou sur le sort des migrants. Mais il faut faire
attention. Il y a dans le film des ambiguïtés voulues. Quand on voit un policier inscrire un numéro sur la main des sans-papiers, on voit la référence à Auschwitz... Si c’est faux, l’image est un peu perverse. Si c’est vrai, il faut le dire. Mais, en même temps, ce n’est quand même pas la même chose que les déportations.
Vous vous êtes engagé pour les sans-papiers ? Oui, et sans aucune restriction. J’approuve ceux qui aident les sans-papiers, et si une loi l’interdit il faut la transgresser, c’est de la résistance ! Mais les migrants de Calais ne sont pas menacés de mort
par un Etat, ils ne sont pas hors du droit. Evidemment, ils subissent une épreuve terrible, presque darwinienne. Ces gens-là ont été capables de tout abandonner, de marcher des milliers de
kilomètres, ils n’iront pas tous au bout... Cela mérite un immense respect, et une immense solidarité.
Pourquoi la référence à l’Occupation et à la Résistance est-elle un passage obligé ? Quand j’étais adolescent, je supportais mal les récits de mon père et de ses amis sur leur guerre et sur Verdun. On ne supportait que les aviateurs, parce qu’ils avaient vécu des aventures hors du commun, et qu’ils étaient des volontaires. Les résistants aussi étaient des volontaires : nous avons agi par choix. Il y a vingt ans, quand j’allais dans des écoles, on me posait des questions de type "western" sur les trains qui sautaient, les Allemands qu’on tuait... Aujourd’hui, on me demande pourquoi nous agissions et ce qu’est la Résistance de nos jours. Les Français aujourd’hui ne savent pas ce qu’est la liberté puisqu’ils ne l’ont pas perdue. C’est quelque chose de perdre sa liberté, et c’est difficilement compréhensible... C’est pour cela qu’on a besoin de raconter l’histoire et de ne pas en abuser.
|