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Soutenons, aidons, luttons, agissons
pour les migrants et les pays en difficulté

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Archives du mois de 11 2013

Dunkerque : SALAM se mobilise pour que les migrants puissent garder les pieds au chaud

25 novembre 2013 - La Voix du Nord - Marie Bourey

Soutenons, aidons, luttons, agissons pour les migrants. C’est la signification de SALAM. Bien connue dans le Calaisis, l’association, qui compte une antenne à Dunkerque, est moins connue sur notre littoral. Et pour cause, peu s’imaginent qu’à quelques kilomètres de chez eux, ils sont plusieurs centaines à s’entasser dans des camps de fortune…

Les bénévoles de SALAM ne ménagent pas leurs efforts pour venir en aide aux migrants.

Ces migrants, dont l’objectif ultime est de rejoindre la Grande-Bretagne où les conditions d’accueil sont, semble-t-il, meilleures, peuvent rester plusieurs mois sur le littoral avant d’arriver à destination. « Nous avons peu de moyens, mais énormément de demandes. Dans le Dunkerquois, on intervient sur deux camps qui comptent entre 50 et 100 migrants. On les nourrit, on leur apporte des vêtements, des couvertures. », explique Sylvie Cousin, ancienne assistante sociale, désormais volontaire de l’association.

C’est pourquoi l’antenne dunkerquoise de SALAM, présidée par Françoise Lavoisier, a mis en place l’opération Pieds au chaud. Une opération qui porte parfaitement son nom. « La plus grosse problématique, ce sont les chaussures. Certains réfugiés marchent des dizaines de kilomètres par jour pour rejoindre Calais et revenir s’ils ne parviennent pas à franchir la Manche », poursuit celle qui a rejoint SALAM il y a cinq ans.

Afin de faire connaître l’opération Pieds au chaud dans l’arrondissement, l’association créée en 2002 suite au démantèlement du camp de Sangatte, a été invitée par la municipalité de Grande-Synthe à assurer le service et la buvette lors d’un thé dansant au Palais du littoral, jeudi dernier. « Nous sommes ravis que le maire de Grande-Synthe nous offre cette opportunité. Le but est de récolter un peu d’argent pour financer les besoins quotidiens de l’association. » D’autant que le camion qui sert à la fois à la distribution et au transport menace de rendre l’âme…

Depuis la création de l’association il y a un peu plus de dix ans maintenant, le nombre de migrants n’a cessé d’augmenter. « Entre les conflits, les dictatures et la misère croissante, tous ont le rêve d’une vie meilleure », témoigne Sylvie, qui presque chaque jour, rend visite aux migrants. « Ces jeunes pourraient être nos enfants, ils n’ont rien de vraiment différent des nôtres, si ce n’est leur culture et l’état dans lequel ils se trouvent bien malgré eux. »

Pour cette bénévole au grand cœur, le déclic est venu en visionnant le film Welcome. Elle a donc rejoint SALAM où l’on trouve aussi bien des étudiants que des retraités. Charlotte, la vingtaine, a ainsi rejoint les rangs il y a un an. « Je devais faire un stage en prépa assistante sociale. Je suis venue et je suis restée. Cela apporte énormément au niveau humain. C’est important de savoir qu’on peut faire quelque chose. Au début, c’est difficile de voir ça, mais il faut savoir prendre du recul. »

Afin de venir en aide aux migrants qui affluent notamment de Syrie pour fuir la guerre civile, les bénévoles se relaient. Certains passent des dizaines d’heure dans les camps de fortune comme à Grande-Synthe, d’autres ne viennent qu’une ou deux heures, faute de temps, mais toutes les bonnes volontés sont les bienvenues.

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Squat du boulevard Victor-Hugo : ils doivent libérer les lieux

20 novembre 2013 - Nord Littoral - D. K.

Hier, des dizaines de personnes ont manifesté leur soutien.

"Un toit pour tous", "Sauvez notre refuge". Les banderoles de soutien sont déployées devant le tribunal d’Instance de Calais hier matin, avant que le jugement concernant le squat du boulevard Victor-Hugo soit rendu. Le tribunal a ordonné la libération des lieux. L’activiste No Border poursuivie a été condamnée
Vers 8h30, des policiers sont aux abords du tribunal de Calais. Des no-borders arrivent place Crèvecoeur. Des membres d’associations mais aussi des personnes lambdas les rejoignent, en soutien. Tous attendent la décision de la justice concernant le squat du boulevard Victor-Hugo, un squat dans lequel vivent des femmes et des enfants qui ont fui leur pays.

Les banderoles sont déployées, "sauvez notre refuge", "un toit pour tous". « C’est bien résumé ! », commente un homme qui a rejoint cette manifestation. Tous veulent pointer du doigt la situation. « Fermer cette maison, à cette période... », soupire un homme avant d’ajouter : « Les gens ne squattent pas par plaisir ! Ils ne peuvent pas faire autrement ! » Tous ont bien conscience de l’enjeu : si le tribunal décide de l’expulsion, des femmes et des enfants « seront à la rue ». La maison qui est occupée depuis plusieurs mois par des migrants était effectivement inoccupée depuis quelque temps mais appartient à une octogénaire qui veut récupérer son bien immobilier.

« Il n’y a pas d’autre endroit »

Une jeune femme, qui n’est membre d’aucune association, confie être venue aujourd’hui en soutien car pour elle « c’est important ! » Et elle ajoute : « la situation globale... La politique menée par Natacha Bouchart ne me convient pas. On ne propose rien pour ces gens. Si on ne se mobilise pas, c’est la porte ouverte à tout ! » Que vont devenir ces femmes et ces enfants qui avaient trouvé refuge au squat du boulevard Victor-Hugo, « loin des dangers de la rue » ? La question apparaît clairement en toile de fond. Deux Dunkerquoises, membres du MRAP et de l’association Salam, ont aussi fait le déplacement. « Ces femmes et ces enfants sont protégés des violences extérieures. Le projet des no-borders est intéressant. Ca demande un dévouement extraordinaire. » Philippe Wannesson, de la Marmite aux idées, rappelle : « Quel que soit le résultat, la balle sera dans le camp des politiques ». Martine Devries, qui fait partie de Médecins du monde, côtoie régulièrement les femmes du squat du boulevard Victor-Hugo, dont certaines sont enceintes : « Le problème, c’est qu’il n’y a pas d’autre endroit. » Après avoir appris la décision du tribunal, elle confie : « Je ne suis pas surprise, c’est quand même une propriété qui appartient à quelqu’un. C’est dramatique pour ces personnes ! » Elle insiste sur les conséquences de cette décision et pointe du doigt : « Il faut trouver une solution égale pour héberger ces gens. Il y a des lieux à Calais. La justice a fait son boulot, mais ce n’est pas normal de ne pas leur donner la possibilité d’être mis à l’abri ! »

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Norrent-Fontes : rencontre avec des migrants en quête d’une vie meilleure

15 novembre 2013 - La Voix du Nord - Sheerazad Chekaik-Chaila et Johan Ben Azzouz

Le 3 octobre, le naufrage d’une embarcation au large de Lampedusa fait 366 victimes. À Calais, le 9 octobre, un Érythréen se noie alors qu’il nage jusqu’aux ferrys. Le 30 octobre, 92 migrants, dont 52 enfants, décèdent dans le désert nigérien. À Norrent-Fontes, établi entre deux champs, un campement, sans eau courante ni électricité, abrite une soixantaine de ces exilés africains. Qui sont-ils ? Quelles sont leurs histoires ?

« Nous voulons une vie meilleure. » Ils ont les pieds dans la boue, le sourire aux lèvres. Les voilà en France, à Norrent-Fontes. Dernière étape avant l’Angleterre, synonyme de la fin d’une longue errance.. En moyenne, ces réfugiés, Soudanais, Éthiopiens et pour la plupart Érythréens, passent sept ans sur les routes.

En Érythrée, les pénuries sont courantes. Le service militaire est obligatoire pour les hommes et les femmes. Pour recruter, des rafles sont organisées dans les villages. Les déserteurs sont mitraillés. Ceux qui le peuvent fuient, par milliers. Premier exploit. Commence un long périple pour les « passengers » – Éthiopie, Soudan, Libye, Grèce ou encore Italie – avec un espoir : rejoindre les côtes anglaises.

« En Grèce, ils nous ont battus. Nous n’avions pas le droit de manger. Ils étaient racistes », chuchote un père de famille. Lui, son épouse et ses deux enfants ont rencontré des néonazis.

Steeve, le fils de 16 ans, évoque ses rêves. « Je veux être photographe », dit-il entre deux cordes sur lesquelles du linge humide se balance. Avant de partir, je lui propose d’en reparler lundi, date de ma prochaine visite. Il rit. « Oh mon Dieu, j’espère que je ne serai plus là. » La famille tente le passage depuis trois semaines. « C’est long, surtout pour ma petite sœur. Elle n’a que dix ans. »

Nous sommes jeudi, veille de la Toussaint. La nuit vient de tomber. Une migrante, tête couverte, invoque Allah à côté d’un autel dédié à la Vierge Marie. Autour d’elle, une cacophonie de voix stridentes. « Ce sont bien des femmes ! », ironise Éric, un bénévole.

« Ils se préparent »

Dans les deux autres « houses », qui servent de dortoirs aux hommes, on s’active. Certains enfilent une deuxième paire de chaussettes. D’autres rassemblent de maigres effets personnels. « Ils se préparent », glisse Nan Suel, présidente de Terre d’errance. Pour aller où ? « Au parking », à Saint-Hilaire-Cottes.

Depuis l’aire d’autoroute, au bord de l’A26, chaque soir de semaine, ils tentent un nouveau passage. Parfois, ils sont jusqu’à quarante au parking. Quand les chauffeurs de camions quittent les cabines, eux grimpent dans les remorques. Certains se cachent sous les essieux. À Calais, les routiers se soumettent aux contrôles avant d’emprunter le ferry. Pour ceux qui franchissent la mer et qui ne sont pas renvoyés, une nouvelle vie démarre.

Des repères outre-Manche

Pourquoi l’Angleterre ? « J’ai des amis là-bas. », « Moi, de la famille. », « On a plus vite accès à des papiers et à des maisons. », « On parle la langue, c’est plus facile pour trouver du travail. Le français c’est trop difficile à apprendre », ajoute Abbah. Ses traits sont tirés. Elle paraît si frêle. Comment a-t-elle résisté à un tel voyage ? La jeune femme est arrivée ce week-end. « Mon mari est resté là-bas. », dit-elle en touchant son alliance. Ses yeux noirs se perdent dans le vide.

« Ils ne doivent pas partir ce soir », s’angoisse Laurence, une bénévole, assise sur le bord d’une couchette. Demain, le 1er novembre, seuls les camions frigorifiques circuleront. Personne ne mesure le risque d’être enfermé vingt-quatre heures dans une chambre froide. Une drôle d’euphorie les porte. Dans l’après-midi, ils ont appris que quatorze d’entre eux avaient réussi.

Un ado comme les autres

Le week-end passe, des nouveaux visages sont arrivés et personne n’est parti. Steeve et sa famille sont toujours là. La petite sœur se repose emmitouflée sous d’épaisses couvertures. Les nuits de veille au parking sont épuisantes et les températures de ce mois de novembre affaiblissent les organismes. Alors la journée, beaucoup dorment. Au réveil, ils font sécher leur linge pour la nuit suivante et jouent aux cartes en attendant le prochain départ.

Steeve me guide sur le camp sous les regards taquins des hommes. Le jeune homme est bavard. Les échanges sont simples mais bouleversants. Il a fêté son anniversaire le 22 octobre. « Nous étions ici. C’est une expérience... particulière. » Mettez-le ailleurs, il est un ado comme les autres. Lunettes rondes, appareil dentaire, allure dégingandée. Comme si le corps avait grandi trop vite pour l’esprit. Le jeune homme songe à voix haute. « En Angleterre, je n’arrêterai pas l’école. C’est trop important. »

L’espoir ou la mort en chemin

Cinq hommes m’expliquent que les familles, restées au pays, ont donné toutes leurs économies pour payer l’expédition. Ce sont des porteurs d’espoir. En retrait, un homme nous toise, méfiant. Il apostrophe mes interlocuteurs. Je ne comprends pas son dialecte. Surveillés, ils n’en diront pas plus sur le coût du voyage. Ni sur les opérations organisées chaque nuit au parking. « On monte, c’est tout. Il n’y a rien de dramatique à chercher. » Et pourtant, tant de choses montrent dramatiques le contraire. Seule certitude : il faut beaucoup d’argent pour financer un tel périple. Ceux qui quittent le pays appartiennent aux classes moyennes et aisées. Steeve affirme qu’ici il y a beaucoup d’étudiants mais aussi des médecins et des professeurs.

« J’ai de la famille exilé au Canada. Ils m’ont payé l’avion jusqu’en Italie, puis le train jusqu’en France. » Abdel montre son trajet sur une carte imprimée à la hâte, en noir et blanc. C’est un privilégié.

Des cicatrices lui lacèrent le visage. Les traces d’affrontements avec l’armée érythréenne ? Une fois outre-Manche, il espère vite trouver du travail pour rembourser ses dettes. « Après je rejoindrai ma famille au Canada. » D’autres pointent du doigt l’Éthiopie, le Soudan puis la Libye. Ils prononcent « désert » à plusieurs reprises. « C’est dur. Il faut marcher avant de trouver un camion pour se faire emmener. » Depuis la Libye, ils ont pris le bateau pour accoster en Italie ou en Grèce. Des morts, il y en a en chemin. Personne ne les évoque. Le dimanche qui a suivi le drame de Lampedusa, les chrétiens sont allés se recueillir, à l’église du village. Dans ce périple mortifère, ceux qui passent sont des héros.

Marie-Claire, infirmière bénévole : « Je ne refuserai pas un coup de main »

« Ça pourrait être moi », disent-ils. C’est pourquoi, à Norrent-Fontes, une vingtaine de bénévoles de Terre d’errance participent à la vie quotidienne du camp. Ils accompagnent les exilés au supermarché. Le vendredi, ils se relaient pour les emmener aux douches des vestiaires du stade de La Roupie, à Isbergues. Marie-Claire,elle, inspecte les plaies et assure les premiers soins.

Cette infirmière, retraitée depuis 2008, multiplie les visites au campement. Quand sa 206 apparaît au bout du chemin boueux, les gens s’animent. Les plus jeunes l’enlacent pour la saluer. Dans ses mains, elle tient des médicaments et des pansements. « Regarde celui-là, il boite. » Direction le médecin du village pour les plus malades. « Il les prend gratuitement », lâche-t-elle assaillie par les questions des migrants. « Franchement, je ne refuserai pas un coup de main. Une autre infirmière ce serait bienvenu. » Elle est épuisée mais refuse de les « abandonner ».

Laurence, une autre bénévole, partage son temps entre Norrent-Fontes et Calais. Elle passe deux à trois fois par semaine ici. Pour elle, la présence des migrants est « une chance ». Ce jour-là, elle transporte une bouteille de gaz dans son coffre. D’habitude, elle s’occupe surtout du linge. « Les gens qui passent laissent des kilos de fringues. Du coup, on les lave au presbytère pour les suivants. » Dans un anglais très approximatif, elle échange quelques mots avec les moins timides. « On discute le bout de gras. Ça fait du bien à tout le monde. »

Nan Suel, présidente de Terre d’errance, est persuadée que cette omniprésence des bénévoles apaise les relations avec les Norrent-Fontois et entre les migrants eux-mêmes. « Ils participent à la vie du village. Ils sont présents à l’église, achètent leurs cigarettes, font des courses à l’épicerie… », résume Marc Boulnois, le maire. « Être avec eux montre qu’ils ne sont pas dangereux », estime Laurence. L’investissement réclame une énergie considérable alors côté bénévoles, les forces s’amenuisent. Et les biens aussi. « L’hiver approche. On va avoir besoin de blousons et de chaussures. »

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Calais : Le squat ou la rue ?

9 novembre 2013 - La Nouvelle Édition - Canal+

Canal+ a diffusé le jeudi 7 novembre dans l’émission La Nouvelle Édition un reportage sur les migrants à Calais.

On n’a rien à perdre quand on a 17 ans en Erythrée

3 novembre 2013 - Libération - Léonard Vincent

Les naufragés de Lampedusa ne sont pas des migrants, mais des évadés. Avant d’embarquer sur des bateaux de fortune dans l’espoir de gagner l’Europe, ils ont fui un régime de fer et, sur leur route, ont traversé des épreuves d’une cruauté inouïe.

Fuir l’Erythrée, ça commence dans le secret de la conscience. On se dit, un jour, que la vie peut changer. On peut en finir avec les anciens combattants fanatiques, les rafles, la bêtise, la peur, les mensonges stupides de la télévision d’Etat. Il suffit de passer la frontière.

On n’a rien à perdre, de toute façon. A l’âge de 17 ans, on est offert à l’armée. Envoyé faire ses classes à la cité militaire de Sawa, on est condamné à devenir la poupée docile des généraux qui se partagent le pays. Après dix-huit mois de camp, on est envoyé sur l’un des grands chantiers de la « nation en armes » du président, Issayas Afeworki. Cantonnier, maçon, manœuvre, domestique, serveur, fonctionnaire : on est à la disposition du parti unique, jusqu’à l’âge de 50 ans au moins. Il faut des permis pour tout, aller, venir, téléphoner. Les mouchards sont partout. La moindre incartade et c’est la bastonnade ou, au pire, la plongée dans le système concentrationnaire.

Alors la nuit, en silence, on prend la décision de partir, comme les milliers de compatriotes qui sont déjà de l’autre côté. L’ONU en compte entre 1 000 et 3 000 par mois, qui réussissent le passage. Il faut d’abord économiser 3 000 dollars (2 170 euros), en cumulant des petits boulots, en vendant les biens de la famille, en faisant appel aux cousins qui vivent déjà en Occident ou dans le Golfe. Puis trouver prudemment un passeur, en ville. Tomber sur un indic condamne aux travaux forcés, quelques années en conteneur métallique dans l’enceinte d’une caserne ou dans les hangars bondés des centres pénitentiaires. Mais les Erythréens le savent : prendre la route de l’exil, c’est risquer de mourir.

Il faut ensuite, en petits groupes, échapper aux gardes-frontières qui tirent à vue, aux mines, à l’épuisante marche à travers les djebels du Soudan ou l’ancienne ligne de front avec l’Ethiopie. Certains parviennent jusqu’aux baraquements du Haut-Commissariat des Nations unies pour les réfugiés (UNHCR). Là, il faut attendre plusieurs années, à manger du riz pour chiens et se rabougrir d’ennui, dans l’espoir d’obtenir un lit et un permis de séjour dans le grand nord suédois ou une banlieue américaine.

Mais depuis quelques années, avant d’avoir pu frapper à la porte de l’ONU, de nombreux évadés se font kidnapper par des soldats érythréens ou soudanais. Ces derniers les revendent aux contrebandiers bédouins qui trafiquent de tout, de la corne de l’Afrique au Yémen. Pour ces bandes, les femmes et les enfants sont des prises de choix : on peut en tirer un prix élevé et ils sont plus faciles à terroriser. Menottés, brutalisés, entassés dans des camions, on les conduit dans des villas perdues dans les sables du Sinaï, qui servent de centres de torture.

Le long de la frontière israélienne, les mafias locales organisent en toute impunité un très lucratif business de l’effroi. Le mécanisme est simple. Dans les caves, on donne un téléphone portable aux prisonniers. Ils peuvent appeler leurs familles, leurs amis, n’importe qui. Pendant qu’ils téléphonent, on les bat à coups de matraque ou de fil électrique. On fond des sacs plastiques sur leurs dos. La rançon demandée pour chaque otage varie entre 20 000 et 40 000 dollars. Si l’argent est trouvé, on relâche les détenus dans les banlieues du Caire. S’il ne l’est pas, on abandonne les cadavres au bord des routes, pieds et poing liés. Si, au Soudan, on échappe aux bandits et que l’on refuse de s’embourber dans la bureaucratie, on échoue dans les bidonvilles de Khartoum, au sein de l’importante diaspora érythréenne. Discrètement, on trouve un emploi subalterne. Les précieux dollars mis de côté servent alors à s’entasser dans les convois de 4 x 4 qui foncent clandestinement vers le nord, à travers le Sahara. Ceux qui craquent en chemin sont abandonnés dans le désert. Il n’est pas rare que l’on trouve des cadavres desséchés d’Africains sur les pistes autour de Koufra.

Les survivants s’entassent dans les arrière-cours de Tripoli ou Misrata, à la merci des miliciens qui se défoulent sur ceux qu’ils voient comme des potentiels « mercenaires de Kadhafi ». Ou de la bourgeoisie libyenne, qui trouve dans ces Noirs craintifs une main-d’œuvre bon marché. Les plus turbulents sont jetés en prison, en attendant de pouvoir payer à leurs geôliers le prix de leur liberté. D’autres se massent à la frontière tunisienne, avec l’espoir un peu fou d’être mieux traités. Les bateaux de fortune qui les conduiront peut-être en Europe sont alors le seul choix pour ceux qui n’ont pas baissé les bras.

Les naufragés de Lampedusa étaient des rescapés de cette odyssée terrifiante. Ils étaient parvenus à réunir suffisamment d’argent pour payer leur place sur un rafiot au rebut, piloté par un incapable muni d’une boussole et d’un téléphone. Enroulés dans des couvertures humides, les poches vides, ils pensaient en finir avec cette descente aux enfers. Même leur noyade en pleine mer était un risque calculé. La misère, la solitude et l’humiliation en Europe étaient préférables à tout le reste.

Tout au long de leur route, de l’Erythrée à la Sicile, ils sont saignés, battus, rançonnés, par des militaires, des mafieux, des hommes d’affaires. Les fortunes collectées circulent via les opérateurs de transfert d’argent, vers des intermédiaires souvent hauts placés. Les évadés servent ainsi de « gagneurs » à nombre de crapules officielles. Cette marchandise désespérée, sans amis, prête à tout pour fuir le martyre enduré au pays, fait la fortune de ses propres bourreaux. C’est pourquoi on peut être légitimement écœuré en apprenant qu’une centaine de survivants du naufrage du 3 octobre ont été empêchés d’assister à la cérémonie d’hommage aux morts de la traversée. Et que l’un des invités de marque de cette commémoration officielle était, cynisme suprême, l’ambassadeur d’Erythrée en Italie. Pour les évadés, le cauchemar n’était donc pas terminé.

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